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Le Phénomène des “présidents de quartier” : quand la loi du plus fort remplace l’autorité

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Dans les ruelles sombres de Libreville et de plusieurs autres villes du Gabon, une réalité inquiétante prend de l’ampleur : celle des “présidents de quartier”. Ces figures respectées, souvent issues de groupes influents ou de bandes organisées, s’imposent comme des intermédiaires incontournables entre la population et les autorités locales.

Mais derrière cette posture d’aide communautaire se cache une mécanique bien plus complexe et dangereuse, où règnent intimidation, racket et impunité.

À l’origine, les “présidents de quartier” étaient perçus comme des grands frères, censés jouer un rôle de médiateur social. Dans un pays où les services publics peinent à répondre aux besoins des populations, ils ont su s’imposer comme des solutions alternatives, prenant en charge des litiges, organisant des aides d’urgence ou même assurant une certaine sécurité. Parfois, c’était simplement un braqueur connu de tous qui savait tenir les plus maudits et qui est devenu leur chef. On raconte que c’est ainsi que Fantômas aurait fini par travailler pour le pouvoir à son époque.

Mais avec le temps, ces rôles se sont transformés en instruments de contrôle. Dans certains quartiers, mieux vaut organiser un événement avec leur aval. Et cet “aval” a un prix : des taxes illégales, des “frais de protection” ou encore des faveurs en échange d’un simple laissez-passer. On se souvient qu’un homme politique avait organisé en 2023 un meeting au stade de Nzeng Ayong. À la fin, il aurait été bloqué par les ndoss, qui réclamaient leur argent. Aujourd’hui, il est en cavale.

Silence et complicité : pourquoi personne ne bouge ?

Le phénomène est bien connu, mais il est rarement abordé dans les discours officiels. Pourquoi ? Parce que ces “présidents” jouissent d’une immunité liée à leur proximité avec certaines autorités. Dans certains cas, ils servent d’intermédiaires officieux pour le contrôle des populations, voire d’outils de mobilisation politique lors des périodes électorales. Bref, le mapane a ses hauts-parleurs.

De plus, la peur joue un rôle clé. Beaucoup d’habitants, conscients des représailles possibles, préfèrent se plier aux exigences plutôt que de dénoncer ces abus. Le système judiciaire, souvent décrié pour sa lenteur et son manque d’indépendance, ne semble pas offrir de recours efficace contre ces dérives. Et puis, on sait comment ça se passe : vous voyez ces gens qu’on attrape le lundi, qui sont libres le vendredi et reviennent même vous braquer le dimanche ?

Si rien n’est fait, ces “présidents de quartier” risquent de s’ancrer encore plus profondément dans le paysage social gabonais, au point de devenir une véritable institution officieuse. Leur influence croissante pose une question essentielle : Sommes-nous en train de laisser s’installer un pouvoir de l’ombre, qui remplace progressivement les autorités légitimes ?

Pourtant, des solutions existent. Il suffirait d’un renforcement des structures locales officielles, d’un encadrement plus strict des chefs de quartier et d’une sensibilisation des populations pour rétablir un cadre légal et transparent. Mais tant que ce phénomène sera traité avec indifférence ou opportunisme par ceux qui pourraient le contrer, il continuera de prospérer dans l’ombre.

Le Gabon a souvent été marqué par des dérives où l’informel finit par s’imposer sur l’État. Ce qui se passe aujourd’hui avec les “présidents de quartier” pourrait bien être un nouveau chapitre de cette histoire, à moins que la société ne décide enfin d’affronter cette réalité en face.

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