Je me définis comme appartenant à l’opposition, et c’est précisément pour cela que cette critique me semble essentielle. Depuis plusieurs années déjà que j’observe la politique gabonaise, je remarque les postures des uns et des autres et des leaders des opposition et le constat aujourd’hui me semble clair : l’échec des oppositions gabonaise est bien réelle
Alors, attention : je ne prétends pas avoir une vision totale et exhaustive de la vie politique gabonaise. Cependant, mon regard critique repose sur des observations concrètes, des faits récurrents et des évidences qui sont souvent ignorées.
Il ne s’agit pas ici d’évaluer le succès des oppositions par rapport à leur accession – ou non – aux plus hautes fonctions de l’État. L’enjeu dépasse largement la conquête du pouvoir. L’échec dont il est question est plus profond, presque organique : celui d’une opposition qui peine à exister autrement qu’en simple réaction aux dérives du régime en place sans jamais réussir à s’affirmer comme une force autonome, porteuse d’un véritable projet politique.
Pour exister, une opposition ne peut pas se contenter d’être une réaction épidermique aux excès du pouvoir en place. Il ne suffit pas de dénoncer les fraudes électorales, la mauvaise gouvernance ou l’autoritarisme du régime en place. Tout cela est nécessaire, mais, il faut se le dire, insuffisant. Elle doit être capable de créer les conditions d’un mouvement populaire de fond, d’insuffler une dynamique capable d’aller au-delà du simple rejet d’un système. Or au Gabon, force est de constater qu’il n’existe pas de structuration militante à même de porter une vision politique cohérente et mobilisatrice.
Le diagnostic tombe alors de lui-même : ces oppositions souffrent d’une incapacité chronique à fédérer, à structurer une base solide et à transformer la colère en une force politique durable.
Il y a cette critique des oppositions gabonaise qu’il semble déjà nécessaire de rappeler, qui réside dans la nature même de ses figures dominantes : bien souvent, il s’agit d’anciens cadres du pouvoir qui ont longtemps bénéficié du système, qui découvrent soudainement ses « dérives » et se reconvertissent en opposants une fois évincées des cercles d’influence. Cette reconversion récurrente brouille les repères et alimente une méfiance légitime au sein de la population. Ce qui se joue ressemble à une lutte interne entre factions rivales d’un même système.
Mais au-delà des individus, l’échec le plus flagrant des oppositions gabonaises est sans doute leur incapacité à proposer une vision alternative. Elles ne se définissent presque qu’exclusivement que par ce contre quoi elles se battent, mais jamais par ce pour quoi elles s’engagent. Être contre Bongo, contre le PDG, contre le régime en place, c’est une posture. Mais on est pour quoi finalement ?
La simple détestation d’un système ne pas constituer un projet politique. Les évènements d’aout 2023 nous ont montré que le dégagisme ne suffit pas à faire émerger une alternative crédible. Cette dernière exige un travail de fond, une capacité à mobiliser, à éduquer, à fédérer. C’est à ce niveau que l’opposition gabonaise révèle sa plus grande faiblesse : incapable d’offrir un cadre de réflexion, un espace d’apprentissage militant ou un ancrage durable dans la population. Une véritable opposition se doit d’être un laboratoire d’idées, un espace de réflexion où se construit une vision pour l’avenir, une vision pour le Gabon.
L’un des aspects les plus préoccupants est aussi cette absence d’héritage. En étant un organe contestataire plus qu’autre chose, nos oppositions ne transmettent ni idéologie claire, ni vision. Les jeunes, qui devraient être la force vive du changement, sont abandonnés à leur désillusion. Ils ne sont ni formés, ni encadrés, ni sollicités politiquement en dehors des périodes électorales.
Où sont les cercles de réflexion qui pourraient structurer une pensée politique alternative d’opposition ?
Où sont les espaces de formation pour créer une nouvelle génération de leaders engagés ?
Où sont les initiatives pour construire une base militante durable ?
Pire encore, ces oppositions s’enferment dans les mêmes logiques qu’elles critiquent. Elles dénoncent un régime hyper-centralisé autour d’un leader tout-puissant, mais fonctionne elles-mêmes sur un modèle similaire. Elles regorgent de « partis-personnes », où tout gravite autour d’un individu, d’un nom, plutôt que d’un projet collectif connu. Dès qu’un leader disparaît, le parti titube, faute d’avoir bâti des structures solides et autonomes. En quoi est-ce proposer quelque chose de nouveau ? En quoi est-ce incarner un véritable renouveau démocratique ?
Faire la critique des oppositions gabonaise est à ce stade une nécessité absolue si l’on veut qu’un jour, elle soit capable d’évoluer. Tant qu’elle n’aura pas fait cette auto-critique, elle restera condamnée à l’échec. Une opposition crédible doit incarner une rupture – non pas seulement avec un régime, mais avec une manière de concevoir l’action politique. Elle doit porter une vision, une ambition claire pour le pays, une autre manière de penser et d’exercer le pouvoir. S’opposer, ce n’est pas juste dire non. C’est dire oui à autre chose. Mais encore faudrait-il savoir à quoi. Et c’est précisément là que l’opposition gabonaise échoue encore. Elle semble attendre que l’exaspération populaire se transforme, par miracle, en révolution en oubliant qu’une révolution, elle se pense, elle se prépare. Nos oppositions ont encore tout à prouver et tant qu’elles n’auront pas défini ce « oui », elles ne seront qu’une force d’indignation sans lendemain.
- Madame la Présidente