FemmesLa Fière TrentenaireSociété

1404, Allo !!!? 

c'est

Je commence presque toujours mes formations sur le risque industriel en posant une question aux stagiaires « quels sont les numéros d’urgence que vous connaissez ? ». Parmi ceux qui reviennent le plus souvent, il y a le 911 et le 18. Avant de commencer j’ai envie de rappeler que ces deux numéros, souvent apparentés à la police et aux pompiers, ne sont pas valides au Gabon.

Je crois qu’à force de les voir et les entendre dans les shows télévisés occidentaux que nous regardons au quotidien, nous nous sommes laissés avoir par l’idée qu’ils sont actifs ici aussi, mais ce n’est pas le cas.
Cette question, on pourrait la poser dans la rue, à n’importe quel Gabonais normal, et très peu sauront répondre en donnant au moins deux numéros d’urgence valides. Encore moins de personnes sauront vous dire qui appeler pour déclarer quel type d’urgence. Pourtant, on a tous déjà été confrontés à une situation qui nécessitait les forces d’intervention, la police, les pompiers, le SAMU… et j’en passe. Mais très peu d’entre nous (je m’appuie sur un panel d’au moins 90 personnes formées au cours de l’année dernière) connaissent les numéros d’urgence valides dans leur ville.

Si en salle de formation, en situation totale d’accalmie, personne ne se souvient du contact de la police, je peux dire sans m’avancer qu’en cas d’urgence, même doté d’un sang-froid à toute épreuve ou formé à réagir, il nous sera encore moins évident de se rappeler des procédures importantes et surtout, des numéros d’urgence. D’autant que dans notre pays, chaque ville a un numéro d’urgence différent et qu’en plus, selon le quartier d’où tu appelles, il est probable que ton interlocuteur ne fasse que t’orienter vers un autre commissariat, qui n’interviendra que si tu leur fournis le carburant pour… C’est à se demander pourquoi on paie des impôts. Bref !

À l’aube de la Journée internationale des droits des femmes, quelques semaines seulement après que nous nous soyons tous indignés devant les conditions du décès de Béatrice ZANG, j’ai envie de poser la questionQui connaît le numéro vert (gratuit) pour dénoncer les violences faites aux femmes au Gabon ? … Maintenant que vous êtes allés relire le titre de l’article, dites-moi en toute sincérité, si vous le connaissiez avant aujourd’hui ? Parce qu’après tout, qui en parle ?

En ce qui me concerne, je le connais, et à chaque fois que j’en ai l’occasion, je le partage autour de moi. Mais heureusement pour moi et pour les femmes de mon entourage, je n’ai jamais eu à m’en servir. Par contre, je me suis toujours posé la question de savoir comment il fonctionne. J’aurais pu appeler, mais j’ai évité de faire le test pour ne pas éventuellement bloquer la ligne à une victime tentant d’obtenir de l’aide. J’ai donc fait quelques recherches, lu des articles sur le sujet, et j’ai appris que le centre d’appel orienterait les victimes et/ou témoins sur la conduite à tenir en cas de violenceQui, d’autre qu’eux, appeler ; les structures médicales de prise en charge, le commissariat le plus proche, etc. Il peut recevoir jusqu’à 30 appels par seconde, c’est énorme !!!

Quand on sait que selon les chiffres sortis en novembre 2024 par le Ministère des Affaires Sociales, 90% des femmes gabonaises ont déjà été victimes de violences sexuelles et que 64% sont victimes de violences physiques (dont 46% de leur conjoint), il est révoltant de constater que très peu d’entre nous sont familiers au 1404. Mais ce n’est pas entièrement de notre faute. Une part des responsabilités revient aux autorités qui l’ont mis en place et se sont contentées d’en parler deux à trois fois sans plus. Si on nous bassinait chaque jour de ces numéros comme les Américains et les Français le font quotidiennement avec les leurs, si on centralisait les appels d’urgence sur des numéros courts gratuits et faciles à joindre, et si on améliorait le rapport au plaignant des personnes au bout du fil, je crois qu’on n’aurait pas trop de mal à les retenir et surtout à les appeler au besoin.

Parfois, même quand on connaît le contact de la police, on a peur de les appeler, parce qu’au Gabon, la procédure ne se limite malheureusement pas toujours à l’appel. Les témoins sont très souvent exposés quand les autorités se présentent après leur appel. Combien se sont vus devenir des victimes après que des acteurs de violences les aient pris pour cible parce qu’ils avaient osé dénoncer des violences subies par une voisine, une sœur, une amie ? Tu appelles la police, et puisque tu ne peux pas leur donner une adresse précise (tu connais les indications au bled non ? derrière la flaque d’eau…), tu es forcé de les recevoir et parfois de leur indiquer la porte de la maison ciblée. Gare à toi si quelqu’un t’a vu faire.

À une période, j’étais très à cheval avec le règlement des conflits par les forces de l’ordreDes déchets devant ma maison, police. Des jeunes fumant à la fenêtre de ma chambre, police. Tapage nocturne, police… Je me souviens d’ailleurs qu’une fois, j’ai contacté la police parce qu’un de mes voisins policiers frappait sa conjointe. Quelle ne fut pas ma frayeur de jeune fille vivant seule avec ses enfants quand, le lendemain, le type se pointa à ma porte en caleçon-débardeur avec son arme serrée dans une ceinture qui n’était posée là que pour me montrer le fusil. « Je suis venu te saluer voisine ! C’est toi qui as appelé mes collègues hier non ? » m’avait-il sorti d’un air nerveux. Je n’abuse pas quand je dis que j’ai vu ma vie défiler devant moi. Après ça, je n’ai plus jamais contacté la police que parce qu’on m’avait cambriolée, deux à trois ans plus tard. Imaginez que le monsieur s’était vengé ?

La plupart du temps, dénoncer des violences peut nous coûter notre tranquillité, des blessures, voire pire, la mort. Certains se font harceler après avoir dénoncé le « ravisseur », sous le regard impuissant de sa victime. D’autres qui, par vaillance, tentent de s’interposer, se font agresser par le couple une fois que la victime constate que son défenseur prend le dessus sur son bourreauBref, tout est « mélOngé mélOngé » !

En gros, il y a encore beaucoup de choses à revoir dans la gestion des violences faites aux femmesLa communication sur les numéros à joindre, l’aide aux victimes, la protection des témoins, la condamnation rapide du ravisseur… On n’oublie pas le traitement des plaintes et le deux poids, deux mesures quand le ravisseur est un proche.

On est encore loin, mais bon, on va y arriver « un peu un peu »

La Fière Trentenaire 😘

N'oubliez pas que vous avez vous aussi la possibilité de nous envoyer vos textes pour encourager, dénoncer et sensibiliser. Envoyez vos contributions à l'adresse ungabonaisnormal@proton.me. On publie en anonyme, sauf mention contraire, et nos messageries sont ouvertes au besoin.