Un expert en urbanisme propose des infrastructures adaptées aux besoins de la population. Mais dans un système où le pouvoir prime sur la compétence, ces considérations sont souvent sacrifiées sur l’autel des économies, des intérêts personnels et du désir de plaire.
Un phénomène récurrent dans la gestion publique est le rabotage des projets par les décideurs politiques. Un plan technique est validé, mais au moment de son exécution, des coupes budgétaires sont imposées sous prétexte de rationalisation des coûts. Là où l’expert aurait dû défendre l’intégrité de son travail, il se tait, ferme les yeux et accepte les compromis imposés par le sommet.
Le cas de la route sans caniveaux est un exemple parlant. L’ingénieur sait qu’en l’absence d’un système d’évacuation des eaux, les pluies finiront par endommager l’ouvrage. Mais le politique, soucieux d’économiser – et parfois d’empocher une part du budget –, décide que cette dépense est superflue. L’expert, au lieu d’expliquer que ce choix compromet la durabilité de l’infrastructure et mettra en danger les riverains, acquiesce. Il exécute, sachant pertinemment que quelques mois plus tard, les habitants subiront les conséquences de cette décision absurde.
Le même schéma se répète dans d’autres secteurs. Un économiste pourrait dénoncer une réforme budgétaire incohérente, mais il choisira de justifier l’impossible. Un expert en santé publique pourrait alerter sur des choix dangereux pour la population, mais il préfèrera éviter de contrarier le sommet. Le résultat est toujours le même : des décisions prises à l’aveugle, un travail bâclé, et un impact direct sur la vie des citoyens.
L’ironie de cette corruption de l’expertise, c’est que ceux qui acceptent ces compromissions en paient aussi le prix. L’ingénieur qui a validé une route mal conçue sera le premier pointé du doigt lorsque l’ouvrage s’effondrera. L’économiste qui a cautionné une mesure désastreuse sera jugé incompétent lorsque les caisses se videront. Il pourrait passer de génie économique à génie de la forêt.
Mais entre-temps, les décideurs, eux, auront déjà avancé à un autre poste, laissant derrière eux un champ de ruines et des experts devenus les boucs émissaires d’un système qu’ils n’ont pas osé affronter.
Cette soumission de l’expertise au pouvoir a un coût humain. Lorsqu’un pont s’écroule, ce sont des vies qui sont en jeu. Lorsqu’un budget est mal géré, c’est la population qui subit les conséquences économiques. Lorsqu’un hôpital est construit sans équipement adéquat, ce sont des malades qui meurent faute de soins adaptés. Derrière chaque compromis, chaque coupure budgétaire arbitraire, chaque renoncement à la rigueur, il y a des conséquences bien réelles pour le quotidien des citoyens.
Un expert qui accepte d’être une simple courroie de transmission du pouvoir ne trahit pas seulement sa profession, il trahit son propre rôle dans la société. Car au final, lui aussi vit dans ce pays, utilise ces infrastructures, dépend de ces services publics. Fermer les yeux aujourd’hui, c’est condamner tout un pays – et soi-même – à subir les erreurs de demain.