Une espèce de fièvre qui pousse certains citoyens, entre deux files d’attente à la caisse du Trésor Public, à brandir leur carte d’électeur comme une grenade dégoupillée : « Si tu ne me donnes pas ce que je veux, je vote contre toi. ».
Le dernier épisode de cette tragi-comédie nationale a eu pour décor le Trésor Public. Des agents publics, apparemment fatigués de faire la cour à leur propre rappel salarial, ont décidé de hausser le ton. Mais pas en invoquant la justice sociale ou la responsabilité de l’État. Non, ça c’est trop ringard. Eux, ils sont passés à l’étape supérieure : le chantage politique. « Rendez-nous nos sous sinon on vote Billie-By-Nze ! » Une déclaration plus percutante qu’un slogan de campagne.
L’ironie, c’est que dans cette République en pleine refondation, où l’on aspire à « un nouveau départ », certains citoyens pensent encore que leur bulletin de vote est un jeton de casino qu’ils peuvent troquer contre des faveurs immédiates. Une prime, une route, un poste, ou un rappel impayé, tout est bon pour transformer l’élection en marché de dupes.
Soyons clairs : le vote n’est pas une faveur que l’on accorde à celui qui a le chéquier le plus fourni. C’est un acte civique. Un engagement pour l’avenir. Une responsabilité. Voter en échange d’un avantage personnel, c’est comme construire une maison sur du sable en espérant qu’elle tienne pendant la saison des pluies.
Le chantage électoral est un cancer démocratique. Et comme tout cancer, il commence petit : un murmure dans une file d’attente, une menace entre collègues, un soupir devant un écran de télé. Puis il se propage. Il gangrène les consciences. Il normalise l’idée qu’on peut troquer le destin collectif contre un intérêt personnel.
Ce comportement est d’autant plus inquiétant que l’élection présidentielle ne concerne pas uniquement ceux qui ont des rappels à percevoir ou des factures à éponger. Elle concerne les retraités sans pension, les jeunes en quête d’avenir, les agriculteurs oubliés de la politique, les enfants qui n’ont pas encore l’âge de voter mais qui en subiront les conséquences pendant les sept prochaines années. En résumé : tout le pays.
Alors, chers compatriotes, à tous ceux qui s’improvisent vendeurs de bulletins ou marchands d’influence, un petit rappel et pas celui du Trésor : votre voix n’a pas de prix. Elle a une valeur. Et cette valeur, c’est celle du pays que vous voulez léguer. Si vous votez pour le plus offrant, ne vous étonnez pas que demain, ce même “offrant” transforme vos droits en options payantes.
Oui, la frustration est légitime. Oui, réclamer ce qui vous est dû est une exigence normale. Mais non, on ne règle pas ses comptes dans les urnes en menaçant de voter pour « l’autre camp » comme on choisit un plat au restaurant parce que le serveur a tardé à vous répondre.
Le Gabon mérite mieux. Il mérite des citoyens exigeants, pas des électeurs en solde.