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Trois semaines pour exister…

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Vous déplorez — non sans raison — une scène devenue tristement banale : celle de citoyens agitant leur carte d’électeur comme une menace, au Trésor Public, dans l’espoir d’un rappel, d’un dû. Vous y voyez du chantage politique. Soit. Mais permettez-moi de poser la question autrement : que leur reste-t-il d’autre ?

Dans ce pays où les promesses sont recyclées à chaque échéance, où les routes sont construites au rythme des meetings, où les rappels tombent en cascade à la veille des urnes, qui peut encore croire que le pouvoir s’intéresse aux citoyens hors période électorale ? Pour nombre d’entre eux, le bulletin de vote est le dernier levier, le seul moment où ils peuvent espérer être entendus — ou redoutés.

Ces hommes et femmes n’ont pas choisi de politiser leur misère. C’est la politique elle-même qui a organisé leur précarité, qui a conditionné leurs espoirs à un cycle électoral. On ne troque pas sa voix contre un rappel par plaisir, on le fait parce que c’est souvent la seule monnaie de négociation dont on dispose dans un système verrouillé par ceux qui refusent de céder le pouvoir, même quand les urnes les désavouent.

Alors oui, le vote est un acte civique, une responsabilité. Mais dans une démocratie abîmée, ce même vote devient aussi, parfois, un cri. Un coup de poing sur la table. Une tentative — même maladroite — de reprendre un peu de pouvoir sur un quotidien qui échappe.

Ce n’est pas le peuple qu’il faut blâmer pour ses choix stratégiques, c’est le système qui rend ces stratégies nécessaires. Et parmi ces citoyens stratèges malgré eux, il y a un groupe en particulier dont on parle trop peu, sinon pour s’en moquer ou les réduire à des rôles folkloriques. Ce sont elles.

« Elles ne dansent pas pour le plaisir. »

À vous qui voyez dans certains comportements électoraux du chantage politique, avez-vous seulement regardé qui tient ces cartes d’électeur tendues comme des ultimatums ? Avez-vous écouté les voix derrière ces cris ? Ce ne sont pas des acteurs cyniques de la démocratie. Ce sont, bien souvent, des femmes. Des mères. Des survivantes.

Celles qu’on applaudit quand elles chantent et dansent au passage d’un cortège politique, mais qu’on oublie sitôt la sono éteinte.

Elles ont quitté l’école bien trop tôt. Grossesses précoces, manque de moyens, devoir de « faire leur part » imposé dès l’adolescence. Certaines subissent des violences financières silencieuses dans leur foyer. D’autres, mères célibataires, vivent de la vente de manioc, de piment ou d’aubergines sur les étals poussiéreux, sous un soleil qui ne fait crédit à personne.

Elles n’ont pas de syndicats. Pas de réseau. Pas de porte-voix. Elles n’ont que ce moment : la période électorale. Trois semaines pour se rappeler au bon souvenir d’un système qui les a reléguées aux marges. Trois semaines pour tenter de négocier, pas un avenir, mais un répit.

Et vous voudriez leur faire la morale ?

Non. Elles ne brandissent pas leur carte pour le plaisir. Elles ne chantent pas pour la gloire. Elles ne dansent pas parce qu’elles y croient encore. Elles dansent parce qu’il faut bien vivre. Parce que, dans cette mise en scène politique où elles ne sont jamais que figurantes, elles ont compris qu’un rôle de plus valait parfois un repas de plus.

Le véritable chantage, ce n’est pas celui qu’elles exerceraient sur les puissants. C’est celui que les puissants exercent sur elles depuis des décennies :
« Danse, soutiens, acclame… peut-être qu’on pensera à toi. »

Alors, à ceux qui dénoncent le “cancer démocratique” du vote intéressé, commencez par regarder la tumeur sociale qu’on laisse proliférer.
Et demandez-vous : qui sont les vrais marchands d’influence ?

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