Sur les réseaux sociaux — Twitter en tête — on a pris l’habitude de chercher qui est visé. Comme si chaque mot publié était une balle perdue. Pourtant, ce réflexe de traquer la cible cache autre chose : un biais d’identification.
Prenons un exemple simple. Je décris dans un texte une situation où une personne prend la parole publiquement mais agit à l’opposé en privé. Quelqu’un lit ça, pense immédiatement à une figure connue de son cercle ou de l’actualité, et s’écrie : “C’est elle, c’est lui, c’est forcément eux !”
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que cette impression de reconnaissance vient souvent de soi. Ce n’est pas le texte qui parle d’une personne précise — c’est le lecteur qui projette une personne sur le texte.
Ce phénomène est connu en psychologie : on appelle ça un biais cognitif, notamment un mélange entre biais de confirmation et attribution erronée. On croit reconnaître une personne parce que l’on connaît quelqu’un qui agit à peu près comme ça. Et ça suffit à notre cerveau pour faire un raccourci : “Si ça ressemble, c’est que c’est.”
Mais non. Ce n’est pas si simple.
Ce qu’on prend pour un shade, c’est parfois juste une illustration d’un fait social global.
Quand on parle d’opportunisme, d’hypocrisie, de récupération politique, ce ne sont pas des concepts neufs. Ce sont des dynamiques bien connues, observables ici comme ailleurs.
Le texte ne vise pas forcément quelqu’un — il décrit un phénomène. Et si quelqu’un se sent visé, peut-être que le miroir social fonctionne. Mais ce n’est pas une preuve d’intention.
Il est donc essentiel, surtout dans cette période d’hyper-exposition et de suspicion, d’apprendre à faire la part des choses entre ressenti personnel et réalité objective.
Reconnaître un comportement n’est pas reconnaître une personne. Ce n’est pas parce que “ça lui ressemble” que “c’est lui”.
Et ce n’est pas parce qu’on se sent attaqué qu’on est attaqué.
En fin de compte, nous devons à nous-mêmes — et aux autres — un minimum d’honnêteté intellectuelle : celle d’admettre que parfois, ce que nous croyons lire dans les mots… vient surtout de ce que nous avons en tête.