L’entrepreneuriat ? C’était un mot flou. Une idée un peu farfelue. Parfois même un synonyme d’échec.
Il faut comprendre le contexte. Le Gabon des années 80-90 baignait encore dans une relative opulence, soutenue par la manne pétrolière. Le pays offrait alors à une minorité des emplois stables, bien rémunérés, et surtout perçus comme des ascenseurs sociaux sûrs. Travailler à la SEEG, à la CNSS, ou au Trésor Public, c’était “réussir”. Dans l’imaginaire collectif, ce n’était pas seulement respectable, c’était rassurant. Quitter ces postes-là pour “se mettre à son compte”, c’était incompréhensible.
Je me souviens d’un ami de la famille. Il avait quitté un poste confortable à la SEEG – il était chef de service, ingénieur, cadre. Autant dire une valeur sûre. Il voulait “monter sa boîte”. Personne ne comprenait. À voix basse, certains le prenaient pour un fou, d’autres pour un flemmard qui ne voulait plus “se lever tôt pour aller bosser”.
Dans la famille, quelques oncles et tantes étaient “dans les affaires”. Mais on ne comprenait jamais vraiment ce qu’ils faisaient. Ils parlaient d’investissements, de “projets à venir”, de “rentrées d’argent” hypothétiques. Il y en avait un en particulier qui traînait toujours une mallette pleine de papiers. Il faisait le tour de la famille pour proposer d’investir dans son idée, sans que personne ne sache trop dans quoi il voulait vraiment se lancer. Pour les anciens, ce genre de profil n’était pas un entrepreneur, mais un rêveur, voire un parasite.
Et pourtant, derrière ces regards moqueurs ou méfiants, il y avait une autre réalité, beaucoup plus rude. Ces “entrepreneurs” tentaient d’exister dans un pays où le système ne leur laissait presque aucune chance. Il n’y avait ni structure d’accompagnement digne de ce nom, ni écosystème solide, encore moins de culture du risque ou de l’innovation. Il fallait se battre contre l’administration, la lenteur des processus, le manque de financements, et l’absence totale de reconnaissance sociale.
Aujourd’hui encore, malgré les discours sur “l’auto-emploi” et “la jeunesse entreprenante”, cette perception persiste. Être entrepreneur au Gabon, c’est souvent être regardé avec suspicion, comme si c’était un plan B pour ceux qui n’ont pas trouvé de “vrai travail”.
Mais peut-être que notre génération peut changer cette image. En racontant nos histoires. En valorisant nos parcours, nos réussites comme nos échecs. En montrant que ce qu’on appelle “l’entrepreneuriat” n’est pas une fuite, mais une construction – parfois chaotique, souvent solitaire, mais profondément nécessaire.