Un marché passé de gré à gré, c’est un contrat attribué directement à une entreprise, sans compétition. En théorie, cela peut se justifier par l’urgence, la spécificité d’un savoir-faire ou une situation exceptionnelle. Mais en pratique, c’est souvent la porte ouverte à la corruption, au népotisme et à l’enrichissement illicite. Rien de nouveau.
Ce qui me choque le plus, ce n’est même plus ça. C’est qu’on n’a toujours pas tiré les leçons. Je parle ici en tant que développeur, entrepreneur du numérique, témoin régulier de cette économie de la débrouille qu’on maquille sous des mots comme « partenariat stratégique ». En vérité, le vrai problème aujourd’hui, c’est la communication – ou plutôt, son absence.
Où sont publiés les appels d’offres ? Sur quelles plateformes ? Qui les consulte ? Qui les comprend ? Trop souvent, les entreprises ne savent même pas qu’un marché existe avant qu’il soit attribué. L’information n’est pas centralisée, pas accessible, pas vulgarisée. Un premier pas vers plus de justice serait simplement de créer un portail public unique, à jour, où tous les marchés seraient listés – avec des critères clairs, des délais raisonnables et des résultats accessibles à tous.
Deuxième point, le choix des prestataires. Prenons l’exemple du BTP ou du numérique : on continue à faire venir des entreprises étrangères pour développer des sites web, poser des câbles ou bâtir des bâtiments, alors qu’on a les compétences ici, au Gabon. La préférence nationale ne devrait pas être un slogan. C’est un levier économique. C’est ce qui crée des emplois durables, ce qui donne un avenir à des entreprises locales qui peinent à remplir leur carnet de commandes.
Enfin, parlons du critère de l’expérience. Il est temps d’arrêter de juger une entreprise uniquement sur son nombre d’années d’existence. Dans un pays jeune comme le nôtre, avec une population active jeune, la majorité des structures ont moins de cinq ans. Et pourtant, elles sont portées par des professionnels qui, eux, ont dix, quinze, parfois vingt ans d’expérience dans leur domaine. Ces gens-là ne devraient pas être écartés des marchés publics sous prétexte que leur entreprise est « trop jeune ». Ils doivent pouvoir prouver leur talent, démontrer leur expertise, accéder à des opportunités. Sinon, on bloque l’initiative, on étouffe l’innovation, et on perpétue une élite fermée.
Alors oui, 93,5 %, c’est choquant. Mais ce n’est pas qu’un problème moral. C’est aussi un symptôme de ce qu’on refuse encore de construire : un système juste, transparent, ouvert. Un système qui croit en ses propres talents.