La Cinquième République devait marquer une rupture. Elle en marque une, c’est vrai — mais pas forcément celle qu’on espérait.
On a voté à 95 % pour le président de la Transition, dans un élan massif, presque irréel. Et pourtant, à peine les résultats proclamés, l’énergie s’est dissipée. Les chantiers promis sont au ralenti, lorsqu’ils ne sont pas à l’arrêt. Les décisions structurantes, elles, ne tardent pas forcément, mais leur exécution est pénible, chaotique. L’urgence de plaire nuit à la bonne organisation. Les déguerpissements continuent. La justice à deux vitesses choque. La représentation de la diaspora questionne. Et les législatives, censées équilibrer les pouvoirs, donnent déjà le goût amer d’un Parlement acquis.
C’est comme si la 5e République était entrée par effraction. Brutalement. Sans prendre le temps.
Pas de débat public. Peu de pédagogie. Une gestion verticale, très verticale.
Deux années de transition… pour nous ramener tout droit dans les années 90.
Même logique de concentration du pouvoir. Même méfiance envers la parole citoyenne. Même culte de la stabilité, au détriment de la justice.
Et quand on ose interroger, critiquer, pointer du doigt… on nous dit « laissez-nous travailler », comme si notre rôle s’arrêtait au vote. Comme si demander des comptes était un manque de respect. Comme si le devoir de vigilance citoyenne devenait une nuisance.
Pourtant, les premières décisions frappent toujours plus fort ceux qui ont le moins. Les plus précaires, les plus fragiles financièrement. Ceux qui n’ont ni voix, ni relais. C’est vers plus d’inégalités qu’on se dirige, pas moins.
« Laissez-nous travailler » deviendra peut-être bientôt « On mange la paix ».
On se rappelle des PDGistes condescendants, marchant en blanc dans les rues pour demander « la paix ». Mais en réalité, ils demandaient le silence.
Le silence de l’opposition. Le silence des indignés. Et ce silence a tué : des tirs ont pris des vies en 2016.
La paix au prix du sang. Le calme pour mieux abuser. C’est ce que le PDG nous a montré. Et on ne veut pas retomber aussi bas.
On veut de la justice, pas juste du calme.
On veut de la construction, pas des incantations.
On veut une République qui n’étouffe pas ceux qu’elle prétend servir.
Alors oui, 12 avril – 22 juin, c’est court. Mais parfois, il ne faut pas beaucoup de temps pour sentir que les fondations craquent déjà.
Et si on n’apprend pas à écouter, à expliquer, à construire avec, pas contre… alors ce sera long. Très long. Trop long.