Face à une telle déclaration, on ne peut s’empêcher de lever un sourcil, puis de réfléchir. Derrière cette phrase se cachent deux choses : un mépris condescendant envers ceux qui osent s’exprimer et une ignorance des dynamiques sociales actuelles.
Les salons feutrés : le cliché paresseux
Selon cette rhétorique, quiconque s’exprime sur les réseaux sociaux ou réfléchit à des questions politiques vient forcément d’un « salon feutré » climatisé. Sérieusement ? Depuis quand les idées ont-elles besoin de décorations intérieures pour exister ?
Les réseaux sociaux ne sont pas réservés à une élite. Ce sont des espaces où toutes les couches sociales se croisent et s’expriment. Vous y trouverez le jeune étudiant qui galère à payer ses frais de scolarité. Le commerçant du coin qui jongle entre les taxes et les coupures d’électricité. Le chauffeur de taxi qui partage ses réflexions entre deux courses. Et, oui, parfois, des cadres ou des professionnels qui réfléchissent aussi à l’avenir de leur pays.
Réduire le débat à une question de classe sociale, c’est passer à côté de l’essentiel. Non, tout le monde sur les réseaux ne vit pas dans une villa climatisée. Et non, ce n’est pas parce qu’on réfléchit ou qu’on critique qu’on est forcément « déconnecté ».
Le fossé intellectuel : la fausse barrière
Venons-en à cette fameuse « grande différence intellectuelle » entre « vous » (ceux qui réfléchissent) et le « Gabonais Lambda » (le reste du peuple). Qui décide de ce fossé ? Sur quelle base mesure-t-on cette prétendue supériorité intellectuelle ?
Cette vision paternaliste repose sur un préjugé dangereux : l’idée que certaines personnes sont trop « simples » ou « désinformées » pour comprendre les enjeux politiques. C’est non seulement faux, mais profondément insultant.
Si une partie du peuple ne participe pas ou s’abstient, ce n’est pas par bêtise. C’est souvent par manque d’information, fatigue face au système ou désillusion. Ceux qui vivent dans les quartiers populaires, les fameux « mapanes », débattent aussi, s’informent, et réfléchissent. Ne pas voter ou ne pas être actif en ligne ne signifie pas qu’ils n’ont pas d’opinion. Cela signifie qu’ils ne voient peut-être pas l’intérêt de s’exprimer dans un système qui les a souvent ignorés.
Le véritable fossé, ce n’est pas intellectuel. C’est un fossé de confiance entre les citoyens et leurs dirigeants.
« Descendre dans le mapane » : une formule creuse
Et que dire de cette injonction à « descendre dans le mapane » ? Comme si le simple fait de visiter un quartier populaire donnait une légitimité instantanée. Mais les habitants des mapanes ne sont pas des singes que l’on irait observer dans un zoo. Ce ne sont pas des « études de cas ».
Ceux qui vivent dans le mapane n’ont pas besoin qu’on « descende » chez eux pour leur expliquer leurs propres réalités. Ce dont ils ont besoin, c’est d’être écoutés, pris en compte, et respectés dans leurs idées.
L’authenticité ne se mesure pas au nombre de pas que vous avez faits dans une ruelle poussiéreuse. Comprendre les problèmes d’un pays ne nécessite pas toujours une immersion géographique. Les inégalités et les injustices, on les vit, on les voit, on les entend, où qu’on soit.
Un débat qui se trompe de cible
Le plus triste dans cette phrase, c’est qu’elle attaque des citoyens qui, justement, essaient de réfléchir et de s’exprimer. Au lieu d’encourager le dialogue, elle divise :
- Elle oppose les « privilégiés » à ceux qui ne le seraient pas.
- Elle discrédite les opinions sous prétexte qu’elles viendraient d’une « élite ».
- Elle insinue que pour parler de changement, il faudrait remplir des critères d’authenticité sociale.
Ce genre de discours rappelle étrangement celui de l’ancien système, où l’on disait aux citoyens : « Vous ne comprenez pas, laissez-nous réfléchir pour vous. » Ceux qui aujourd’hui prônent ce genre de rhétorique oublient qu’ils reproduisent les mécanismes qu’ils critiquaient hier.
Arrêtons de parler des salons climatisés ou du mapane. Le véritable problème, c’est :
1. Pourquoi une partie du peuple reste désengagée politiquement ?
2. Comment rétablir la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants ?
3. Comment inclure toutes les voix dans les discussions, sans discrimination ?
Ces questions ne se résolvent pas avec des jugements condescendants. Elles nécessitent du respect mutuel, des échanges honnêtes, et un espace où chaque citoyen se sent écouté, qu’il vienne du mapane ou d’ailleurs.
À celui ou celle qui pense que les idées viennent uniquement de « salons feutrés », voici un conseil : les grandes révolutions ne commencent pas dans un endroit particulier. Elles commencent dans l’esprit des gens.
Et cet esprit, qu’il soit nourri dans un mapane ou dans un appartement climatisé, a la même valeur. Ce dont le Gabon a besoin aujourd’hui, ce n’est pas de plus de divisions, mais de dialogues. Des vrais. Parce que ce n’est qu’en construisant des ponts, et non des murs, que nous avancerons ensemble.