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Le pain, la route et le bon sens

Dans ma petite ville de province, j’ai ouvert une boulangerie. Petite, modeste, mais efficace. Tous les matins, je me lève aux aurores, je mouille le maillot, j’enfourne, je défourne… Et au final, je produis 200 pains par jour. Pas un de plus. C’est ma capacité actuelle.

Problème : la ville a besoin de 300 pains. Il en manque donc 100 pour satisfaire tout le monde. Là, n’importe quel technocrate ou décideur en cravate te dira : « Ah ben, faut augmenter la production ! Faut agrandir la boulangerie ! Faut acheter un deuxième four ! »

Mais c’est là que le bon sens entre en jeu.

Parce que sur les 200 pains que je produis, seuls 100 arrivent effectivement à la boulangerie en ville. Pourquoi ? Parce que le reste est perdu pendant le transport. Les routes sont dans un état lamentable. Le livreur esquive les nids-de-poule plus gros que sa moto, les caisses tombent, les pains se gâtent. Résultat : j’ai beau suer pour 200 pains, je ne vends que la moitié. Et on me dit que la solution c’est… produire plus ? Sérieusement ?

Ce n’est pas ton four qui pose problème.
Ce n’est pas le manque de farine.
Ce n’est même pas la demande.

Le vrai problème, c’est la route.

C’est elle qui fait perdre la moitié de ta production.
C’est elle qui fait chuter ton chiffre d’affaires.
C’est elle qui transforme ton effort en échec apparent.
Et c’est pourtant elle qu’on refuse de voir.

Alors on tourne en rond. On veut multiplier les boulangeries, augmenter la cadence, faire des inaugurations à la télé. Mais on laisse les routes pourrir. On produit toujours plus… pour jeter toujours plus.

C’est valable pour le pain. Mais c’est aussi valable pour l’électricité, pour la santé, pour l’éducation.
On injecte des milliards, on brandit les chiffres… mais la moitié se perd en chemin.
Et personne ne s’attaque à la route.

Si tu veux vraiment nourrir ton peuple, commence par assurer la livraison.

Sinon, tu cuisineras pour des trous.

Je te dis tout

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La Savane en Ordre

Dans le royaume de la Grande Savane, on venait tout juste de festoyer. L’intonisation du nouveau roi avait été un moment grandiose. On avait dansé, chanté, mangé jusqu’à plus soif. Tout le monde semblait heureux. Ou du moins, tout le monde faisait semblant.

Mais à peine les tambours rangés, le roi convoqua ses hyènes. “Il est temps de faire le ménage.” Les hyènes, toujours promptes à bien se faire voir, hochèrent la tête avec un zèle peu rassurant. Sans demander plus de précisions, ou peut-être en ayant très bien compris les sous-entendus, elles se mirent à quadriller la savane.

Leur mission ? Ranger. Leur méthode ? Chasser.

Ce sont d’abord les antilopes qu’on somma de déguerpir. Trop nombreuses, pas assez utiles, pas dans le bon coin. Certaines avaient pourtant grandi là. D’autres avaient même reçu autrefois l’autorisation des anciens rois de bâtir leur terrier près des baobabs. Mais l’époque avait changé.

Tu vis ici ? Et à quoi sers-tu exactement ?” lança une hyène en déchirant une paillote. Être antilope ne suffisait plus. Il fallait maintenant justifier son utilité dans la savane. Les plus lentes furent délogées sans autre forme de procès. Les plus rapides coururent, non pas pour survivre, mais pour sauver leur case, leur marmite, leur souvenir.

Pendant ce temps, les hyènes se servaient. Elles arrachaient les toitures, transportaient les pierres, prenaient le peu qu’il restait aux antilopes — tout en répétant que *“le roi l’a demandé”*. Et puisque le roi, du haut de sa termitière dorée, ne disait mot, chacun comprit qu’il consentait.

Le peuple se taisait.

Ou murmurait seulement.

Et dans le silence, une nouvelle règle s’imposa : ici, désormais, seuls les forts restent. Les autres, qu’ils déguerpissent.

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Le Banquet des Illusions

Dans la grande savane, un événement grandiose se préparait : un banquet. Tous les animaux étaient invités, du plus petit au plus grand. La table était dressée sous l’ombre d’un baobab centenaire, et tout semblait parfait… ou presque.

Le Lion, chef de la savane, tout fier dans sa crinière dorée, occupait déjà la place d’honneur. “Ah ! Regardez-moi, je suis l’incarnation de la majesté”, pensait-il, tandis que ses admirateurs, principalement des gazelles un peu naïves, s’agenouillaient pour lui rendre hommage. Le Lion ronronnait de plaisir. Mais au fond de lui, une petite voix murmurait : “Est-ce que ces gazelles m’aiment vraiment, ou est-ce que c’est juste la peur qui les fait s’agenouiller ?”

Puis arriva l’Hyène. Ah, l’Hyène ! Il était le genre d’animal qu’on reconnaît à son rire strident et à son sourire aussi large que ses ambitions. Ancien allié du Lion, il n’était plus que l’ombre de lui-même, mais toujours aussi rusé. “Je suis tellement charmant, n’est-ce pas ?” se disait-il en s’approchant des invités. Avec sa belle langue de serpent, il susurrait des paroles sucrées à la Tortue, qui, elle, ne pouvait s’empêcher de lever un sourcil, incrédule. “Le Lion a vécu ses plus belles années, hein ? Peut-être qu’il est temps de confier le pouvoir à quelqu’un qui sait s’amuser… comme moi !” disait-il d’un ton enjôleur. La Tortue, un peu lassée, répondit simplement : “Oui, bien sûr… et pourquoi pas un jour une girafe à la tête de l’assemblée ?”

Les gazelles, dans leur naïveté charmante, ne comprenaient pas bien. Elles étaient trop occupées à admirer le Lion, à sauter joyeusement autour de lui, pour écouter les sages conseils de la Tortue. Après tout, qui a le temps de méditer sur la sagesse quand on peut gambader sous le soleil ?

Et puis… voilà qu’arrivent les rats. Ah, les rats ! Ces petits malins n’étaient pas invités, bien sûr, mais ils avaient un sens du timing à toute épreuve. Déguisés en zebres et en antilopes, ils se faufilèrent sous la table comme des ombres. “C’est bien mieux que le buffet du marché !” chuchotèrent-ils entre eux. Et, sans vergogne, ils commencèrent à se servir, sans jamais se soucier des regards accusateurs qui les ignoraient. Ils prenaient tout, se glissant à droite et à gauche. “S’il y a bien quelque chose qu’on peut apprendre des lions, c’est qu’il faut prendre ce qui est à ta portée”, pensa un rat, les dents pleines.

Le banquet, au départ si raffiné, se transforma en une scène de chaos organisé. Le Lion, trop occupé à se faire admirer, n’avait pas vu les rats dévorer ses réserves. L’Hyène, tout sourire, faisait des compliments à tout le monde, sauf au Lion, qui commençait à se demander si son trône n’était pas en danger. La Tortue, quant à elle, en avait assez de cette comédie. “Ah, quel spectacle !” soupira-t-elle. “Le vrai pouvoir réside dans le silence, pas dans la rapidité. Dommage que tout le monde soit trop occupé à courir après l’illusion.”

Finalement, lorsque les festivités touchèrent à leur fin, personne ne s’avoua qu’un certain nombre de plats avaient disparu mystérieusement. Les gazelles étaient toujours pleines d’admiration pour le Lion, mais quelques-unes avaient remarqué que le banquet avait perdu de son éclat. L’Hyène, lui, était déjà en train de planifier son prochain coup. Quant à la Tortue, elle repartit lentement, le sourire aux lèvres. Elle savait que la vraie leçon viendrait avec le temps.

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La Révolte des Antilopes

Dans la vaste savane où régnait depuis des générations le vieux Lion Bongoloss, les antilopes vivaient sous le joug d’un règne sans pitié. Traquées, affamées, elles espéraient un jour voir tomber ce trône où seuls les fauves du clan Bongoloss avaient droit de régner.

Un jour, parmi elles, se levèrent de jeunes antilopes, fougueuses et pleines d’espoir. Elles parlèrent haut et fort, dénoncèrent les injustices et promirent qu’une fois le Lion chassé, la savane ne serait plus un lieu de peur mais un royaume de justice.

Les autres antilopes crurent en elles. Elles leur donnèrent leur confiance, leur courage et même leur voix, les poussant au sommet du rocher des chefs.

Et le vieux Lion tomba.

Mais à peine installées sur les hauteurs, ces jeunes antilopes changèrent. Leurs regards devinrent fuyants, leurs discours plus distants. Elles qui hier encore marchaient parmi leurs sœurs, ne daignaient même plus les voir.

Pire encore, elles s’entourèrent des hyènes qui hier les effrayaient tant. Elles festoyaient à leurs côtés, riaient avec elles, partageaient leur gibier.

Et lorsqu’une antilope osa leur rappeler leurs promesses, on l’accusa d’être naïve, de ne rien comprendre aux lois de la savane. On la tourna en dérision.

Regardez ces folles, ricanaient-elles depuis leur trône. Elles croient encore à la loyauté en politique !

Mais dans l’ombre des hautes herbes, les antilopes observaient. Elles n’étaient ni folles ni aveugles.

Elles voyaient bien que celles qu’elles avaient portées au sommet n’étaient plus des leurs. Elles n’étaient plus que des roitelets assis sur un pouvoir prêt à dévorer les leurs au moindre mot de travers.

Alors, les antilopes murmurèrent entre elles :

Nous les combattrons, tout comme nous avons combattu le vieux Lion.

Mais à une différence près : nous ne nous laisserons pas corrompre. Nous ne nous perdrons pas comme elles l’ont fait. Nous ne trahirons pas notre combat.

Et tandis que les hyènes et les nouvelles reines de la savane festoyaient sous la lueur de la lune, dans l’ombre, les antilopes se préparaient déjà.

Car une chose était sûre : rien ne dure éternellement dans la savane.

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Le corbeau et la mangeoire

Le vieux roi Hyène, dont le rire résonnait autrefois dans toute la savane, fut chassé du trône par un corbeau rusé et ambitieux. Ce dernier, juché sur une branche au-dessus de la mangeoire royale, proclamait à qui voulait l’entendre : « Finie l’époque des carnassiers voraces ! Désormais, seul celui qui saura honorer ma grandeur goûtera aux délices du royaume. »

Les animaux, médusés, observaient ce drôle de souverain, mais la faim étant un tyran plus redoutable encore, ils s’avancèrent un à un, le bec et le museau pleins d’allégeance.

Le premier fut le Chacal, qui, avec une révérence exagérée, lécha les serres du Corbeau en gloussant : « Ô Majesté, votre plumage surpasse l’ébène, votre bec est plus affûté que l’esprit du Lièvre ! » Séduit par tant de flagornerie, le Corbeau lui offrit une maigre pitance. Aussitôt, tous les autres bêtes s’essayèrent à l’exercice, redoublant d’éloges grotesques. L’Éléphant parla de « plumes divines », la Tortue vanta « l’élégance aérienne » du souverain, et même le Crocodile, pourtant réputé pour son franc-parler, se fendit d’un compliment sur « la noblesse du croassement royal ».

Mais le Singe, moqueur et malin, ne put s’empêcher de ricaner. « Alors c’est ça, la nouvelle loi ? Un festin pour les lèche-plumes et la disette pour les honnêtes ? » Le Corbeau, piqué au vif, lui rétorqua : « Qu’importe la sincérité, seul le respect compte ! » Et pour punir l’effronté, il ordonna qu’on lui retire sa part. Voyant cela, les animaux redoublèrent d’ardeur, s’agenouillant si bas qu’ils en mangeaient la poussière, et le Corbeau, ivre de vanité, en oublia même de manger lui-même.

C’est ainsi que, repu d’adulation mais affamé de bon sens, le Corbeau finit par s’effondrer d’inanition. Le vent, témoin de la scène, siffla doucement dans les branches : « Mieux vaut un roi qui rit qu’un roi qu’on flatte. » Et au loin, la Hyène, éclatant de son rire rauque, savourait son retour inévitable.

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