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Le jour finira par se lever

À la jeune fille que j’étais et à toutes celles et ceux qui se reconnaîtront dans ces maux.
Hello,
Je ne vais pas te demander si tu vas bien — je sais que non.

Je sais que dans ta tête, tout est flou, que plus rien n’a de sens, que tu te demandes peut-être si ce que tu vis
est réel… ou si ton esprit est en train de s’effondrer sous le poids de quelque chose que tu ne comprends pas
encore. Peut-être que tu ne ressens rien. Pas encore. Les vannes sont fermées. C’est ce que t’a dit la psy.
Mais un jour, elles s’ouvriront.
Et ce jour-là, je veux que tu saches une chose : tu survivras.
Ce sera dur, violent, insupportable. Tu auras l’impression de mourir plusieurs fois dans la même journée. Tu seras épuisée, effrayée, vidée. Tu perdras le sommeil, ton insouciance aussi.

Campée derrière la fenêtre de tachambre, tu sursauteras au moindre bruit, à chaque ombre, toutes les nuits. Toutes.
Tu auras le ventre noué par la trithérapie, les rendez-vous médicaux, les silences trop lourds. Tu refuseras d’aller chez la psy, parce que tu ne comprends pas vraiment ce qu’on attend de toi. C’est normal. Tu n’as que 12 ans.
Et malgré tout ça : tu t’en sortiras.
Je ne vais pas te dire d’être forte. Tu n’as pas à l’être. Tu n’étais pas censée vivre ça. Aucune enfant, aucune femme, aucune personne ne devrait porter ce poids.
Mais tu porteras le tien. Pas toute seule. Ta famille sera là, toujours. Même au milieu de la nuit, pour faire taire
les bruits dans ta tête et t’aider à dormir. Au moins quelques heures.
Certains amis aussi seront là – parfois malgré eux.
Tu avanceras. Parfois en rampant. Tu grandiras avec cette histoire en filigrane, accrochée à ta peau, à ton silence, à ton regard.
Il y aura des jours où tu ressentiras une colère sourde.
Pas celle qui réclame vengeance — une autre.
Celle d’avoir dû grandir trop vite.
D’avoir vu le monde autrement, trop tôt.
De porter en toi des repères que tu n’as pas choisis.
Celle de voir la peine et l’impuissance dans les yeux de tes proches, comme si tu en étais responsable.
Tu te sentiras différente, seule aussi parfois. Comme si quelque chose en toi s’était figé cette nuit-là, et que plus rien ne pouvait tout à fait revenir à sa place. Comme si le monde s’était scindé en deux : ceux qui savent, et ceux qui ne sauront jamais. Tu n’oseras pas le dire. Et en même temps, tu auras envie de hurler ta vérité.
Alors tu vivras à travers tes réussites. Tu t’y accrocheras comme à des bouées : les études, les activités, les voyages, les victoires. Parce qu’elles te permettront de tenir, de respirer, de te sentir capable. De prouver, même sans le dire, que tu es bien plus que ce qu’ils ont fait de toi.
Et puis avec les années viendront les premiers émois. Tu seras curieuse et très méfiante à la fois. Tu reculeras, souvent. Parce qu’au fond, tu sais : la vraie première fois devra être la tienne. Celle que tu choisis. Celle que tu contrôles. Pas pour l’amour absolu. Pas pour l’histoire parfaite. Mais pour que ton corps t’appartienne à
nouveau. Et ce moment-là viendra. En ton temps.
Tu feras croire que ton passé ne t’a pas tant abîmée. Tu joueras la carte de la force, de la résilience
inébranlable.
Mais tu te rendras compte que face à un homme, ton « non » n’est jamais un non anodin. Qu’il est souvent accompagné d’un récit. Que ton histoire, tu la tends comme un bouclier — pas pour qu’on la comprenne, juste pour qu’on te respecte. Pour qu’on n’ose plus jamais te contraindre. Parce que tu auras appris bien trop tôt qu’avec les mauvaises personnes, un non ne suffisait pas. Pas plus qu’être une enfant.
Et un jour, tu comprendras. Tu comprendras que tu n’étais qu’une enfant. Et eux, des violeurs. Des pédophiles.
Qu’aucune culpabilité ne t’appartient. Que tu n’aurais rien pu empêcher. Même si tu avais porté autre chose
que ta petite robe de nuit Disney. Tu n’en porteras plus pendant un long moment.
Ce que tu as vécu est un drame. Une violence sans nom.

Mais tu sais quoi ?
Ça ne t’a pas définie.
Ils n’ont pas réussi à éteindre ta lumière.
Ils n’ont pas eu ce pouvoir.
Tu as grandi. Tu as avancé. Tu t’es écroulée. Tu t’es relevée.
Tu as réussi, mille fois. Parfois dans le silence, parfois dans la rage.
Et parfois, la vie t’a montré que ce combat ne serait jamais tout à fait terminé. Que certaines blessures resurgiraient quand tu t’y attendrais le moins.
Je sais que tu n’y crois pas pour le moment mais un jour, la vie déposera entre tes mains quelque chose de doux.
Une histoire d’amour que tu n’osais même pas imaginer.
Un homme qui t’aimera toute entière, avec tes silences et ta lumière.
Et de cet amour naîtra une fille.
Une magnifique petite fille. Oui, tu deviendras maman.
Un concentré de toi, avec ta force, ton sourire, ton intensité.
Tu ne t’étais pas préparée à ça mais, avec elle commencera un nouveau combat. Un combat qui te prendra aux tripes. Celui de ne pas laisser ton histoire contaminer la sienne. De lui transmettre la force sans le fardeau. De la protéger, sans l’enfermer.
Tu avais tellement peur du futur. Convaincue que tu ne vivrais jamais ces moments.
Que tu serais à jamais une survivante, jamais simplement une fille, une femme.
Je suis heureuse de te dire que tu avais tort.
Tu as le droit au bonheur. Tu l’as toujours eu.
Et rien, ni personne, ne pourra plus jamais te l’enlever.
Le chemin est long et tortueux, je sais.
Mais n’oublie jamais : aussi longue et sombre soit la nuit, le jour finit toujours par se lever.
Et il se lèvera encore demain. Alors, s’il te plaît, quitte cette fenêtre. Ils ne reviendront plus te faire du mal.
Ferme les yeux et respire profondément. Tu n’es pas seule.
Courage.
Je t’aime.
Et je suis fière de nous.

Je te dis tout

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Quand la dignité ne suffit pas

Lorsque le CTRI a pris le pouvoir, une promesse a traversé les discours, les interviews, les espoirs : rendre leur dignité aux Gabonais. Pas de grandes utopies, pas de phrases creuses — un mot, un engagement. Dignité.

Et il faut être honnête : des choses bougent. Les routes s’améliorent, les bâtiments sortent de terre, les administrations semblent parfois mieux fonctionner. Il y a du mouvement, des efforts visibles. Et il serait malhonnête de faire comme si rien n’avait changé.

Mais la dignité ne s’évalue pas qu’au niveau de l’asphalte. Elle se mesure aussi au respect que l’on porte à ceux qu’on a blessés. À ceux que le pouvoir, même transitoire, a oubliés. Elle se jauge dans la capacité à reconnaître ses erreurs, à regarder les fautes en face, à ne pas les balayer d’un revers de phrase.

Alors lorsque la ministre déléguée à la Défense salue la « conduite irréprochable » des Forces de Défense et de Sécurité pendant la transition, il y a un malaise. Un malaise sourd, tenace. Une gêne partagée par tous ceux qui n’ont pas oublié.

Karl Stecy Akué Angoué, 30 ans, battu à mort pour une violation présumée du couvre-feu.
Les syndicalistes de la SEEG, arrêtés, humiliés, le crâne rasé à la lame.
Les journalistes de Gabon Media Time, placés en garde à vue, déshabillés, pour un article jugé dérangeant.
Johan Bounda, second maître, torturé à mort, brûlé au fer, dans les locaux du B2.

Des faits. Documentés. Connus. Reconnaissables. Et pourtant, effacés d’un revers de discours.

Les forces de sécurité ont un devoir. Celui de protéger. Pas d’opprimer. Celui de servir, pas de punir. Et ce devoir ne se mesure pas à l’instant présent seulement, mais à ce que l’on fait de son propre passé.

Saluer leur discipline, pourquoi pas. Mais l’appeler “irréprochable”, c’est insulter la mémoire de ceux qui ont payé de leur corps les dérives de la transition.

La dignité, la vraie, commence quand l’État a le courage de dire : là, nous avons failli. Et qu’il en tire des conséquences.

Je te dis tout

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C’est le 8 mars, offrez nous des fleurs

Je crois qu’il est grand temps d’aller au-delà de la sacro-sainte phrase « ce n’est pas la fête des mères mais la journée internationale des DROITS des femmes » .

Le 8 mars, Journée internationale des droits de la femme, comme d’habitude, a été le temps pour celles qui travaillent de se faire un restaurant entre femmes de l’entreprise, écouter d’autres femmes parler de leurs problèmes de couple, des challenges qu’elles rencontrent en tant que femmes actives, remercier les dames (1ères et ex æquo ?) et autres femmes qui gravitent dans la sphère politique pour leur digne représentation de la femme gabonaise.

On a dit qu’on ne critique pas, alors, oui, ce n’est déjà pas mal. Il faut reconnaître que la femme gabonaise s’exprime, « elle a la bouche » comme on dit chez nous. Il faut reconnaître qu’il existe des textes, des textes qui depuis peu condamnent le harcèlement sexuel au travail (Messieurs, oui, nous savons que les chacalas existent aussi, mais ce n’est pas le sujet), des textes qui favorisent l’inclusion de la femme en société, des textes, décriés de toutes et tous, qui donnent à la femme, le statut de chef de famille au même titre que son conjoint.

Les textes existent, les marches et autres types de soutien aussi. Mais après, quel en est le bilan ?

J’ai envie de m’étendre sur le sujet, mais je ne suis même pas sûre que cela intéresse qui que ce soit. Je vais donc me contenter de jeter un pavé dans la mare et poser quelques questions :
Est-ce qu’on sait si les femmes, lorsqu’elles sont victimes d’agression sexuelle, connaissent leur droit et se sentent libres de porter plainte ? Lorsqu’elles le font, est-ce qu’on parle de la manière dont ces plaintes sont accueillies et de leur issue ?
Est-ce qu’on sait si les femmes souhaitent que l’on retouche, de manière plus approfondie (parce que cela a déjà été fait) le texte sur l’avortement ? Ne devrait-on pas lancer un débat de société quand on connaît la pratique récurrente du sac poubelle où l’on balance neuf mois de souffrance ? Est-ce qu’on évoque le jeu hypocrite des autorités qui savent bien qu’on pratique des avortements clandestins, à tout coin de rue et même dans les cliniques les plus honorables de la capitale ?
Est-ce qu’on se demande comment une femme salariée du privé vit durant ses trois mois de congé maternité, privée de son salaire parce que la CNSS doit prendre le relais ? Cette même CNSS dont le remboursement pourrait contribuer aux frais d’université de l’enfant, tant il arrive tard.
Est-ce qu’on se demande si la tradition du père qui fait épouser ses enfants et les enterre n’est pas un peu déplacée (le mot est doux) dans un monde où la femme battante (qui se débrouille seule face à son ex-amant démissionnaire) a été érigée en norme ?
Enfin, de manière générale, est-ce qu’il ne serait pas judicieux de se dire que notre société matriarcale sur fond d’empreinte coloniale est souffrante, en perte de repères, et que peut-être, en écoutant les maux de Vénus, nous parviendrons à créer une meilleure Terre gabonaise pour tous ?

Le 8 mars n’est pas une journée de fête, c’est un jour qui, dans un pays en construction, doit faire mal, doit réveiller les souffrances endormies, bousculer les hypocrisies entendues et chercher des solutions réelles.

Pensons-y en offrant et en acceptant les fleurs.

Je te dis tout