Le vrai visage de la liberté d’expression au Gabon se dessine dans les couloirs sombres des administrations et les coins discrets des quartiers. Ici, les gens parlent, mais à voix basse, et surtout pas en public. Pourquoi cette discrétion ? Parce qu’on a tous vu des choses. On a entendu des histoires de ceux qui, à force de dire trop de vérités, ont fini par rencontrer la grande faucheuse plus tôt que prévu. Oui, au Gabon, la vérité a ce talent unique de précipiter des fins tragiques. On me disait même qu’à l’époque d’Omar, tu pouvais parler dans le taxi et le lendemain, on te récupérait. Paraît qu’un jour un gars a dit « La paix c’est quoi ? On mange la paix ? » et s’en était fini pour lui. Dans ces conditions, qui va parler ?
La République du silence imposé
Nous sommes censés être dans une République, un endroit où chacun peut s’exprimer librement. Pourtant, pendant des années, on nous a montré que ceux qui parlaient un peu trop haut finissaient par disparaître ou devaient s’exiler. Des opposants politiques retrouvés morts, des activistes contraints de fuir leur propre pays pour éviter la répression, et même de simples internautes qui s’inquiètent qu’un post de trop sur Facebook leur vaudra peut-être une arrestation surprise à l’aéroport.
En 2024, après plus d’un an de Transition politique au Gabon, on aimerait pouvoir croire que tout cela appartient désormais au passé. Que l’époque où un simple tweet, une publication Facebook, ou même un TikTok pouvait vous conduire tout droit derrière les barreaux n’est plus qu’un lointain souvenir. Après tout, les nouvelles autorités promettent une ère de transparence, de réformes, et d’ouverture. Mais si l’on gratte un peu la surface, les fantômes des années sombres continuent de rôder, omniprésents dans les esprits.
Les cicatrices laissées par le silence imposé, les intimidations, et la répression sont encore profondes. Et si aujourd’hui, les Gabonais sont plus nombreux à s’exprimer sur des plateformes comme Twitter, TikTok, ou YouTube, ce n’est pas sans une certaine appréhension. Car même si le cadre politique a changé, la mémoire collective est encore marquée par ces années où trop parler pouvait vous coûter cher. On se souvient des journalistes réduits au silence, des blogueurs contraints à l’exil, ou encore des citoyens ordinaires arrêtés simplement pour avoir partagé un post qui dénonçait des injustices.
Les réseaux sociaux, pourtant, sont devenus un espace vital pour la parole au Gabon. Ils ont permis, à plusieurs reprises, de briser l’omerta imposée par les médias traditionnels. C’est grâce à internet que le monde a pu voir ce qui se passait au Gabon le 30 août 2023, lors de la prise de pouvoir militaire, mais aussi en 2016, au plus fort de la crise post-électorale. Des vidéos montrant la réalité des événements, des tweets relayant les témoignages des citoyens pris dans la tourmente… Internet a été la fenêtre par laquelle le monde entier a découvert les vérités que certains auraient préféré cacher.
Et pourtant, même dans cette nouvelle Constitution que l’on nous promet, l’accès à internet n’est pas garanti de manière absolue. Il est sous conditions, ce qui laisse une grande zone d’incertitude. Ces conditions, d’ailleurs, posent question : qui décide de ce qui est acceptable ou non ? Qui garantit que demain, les coupures d’internet ne seront pas de retour pour faire taire les voix dissidentes, comme ce fut le cas lors de la crise de 2016 et en 2023 ?
Le paradoxe est frappant : d’un côté, on parle de restaurer les libertés et de garantir l’accès à internet, mais de l’autre, on limite cet accès sous prétexte de préserver l’ordre. Pourtant, c’est précisément grâce à internet que les Gabonais ont pu se faire entendre et que le monde a pu voir ce qui se passait derrière les rideaux opaques de nos institutions. Sans ce formidable outil, beaucoup de vérités seraient restées dans l’ombre.
Alors, peut-on vraiment parler de liberté d’expression quand celle-ci dépend d’une connexion internet conditionnée ? Peut-on vraiment croire que la parole est libre quand chaque internaute craint que son prochain post Facebook , sa vidéo TikTok ou son tweet ne devienne l’élément déclencheur d’une convocation au B2 ou à la DGR ou pire, d’une interdiction de quitter le territoire ? Si nous voulons que le Gabon avance, il est impératif de garantir un accès sans condition à internet, et de protéger ceux qui osent s’exprimer, que ce soit en ligne ou hors ligne. (On n’a pas aussi dit d’être sauvage et d’insulter les gens).
La peur, cet ennemi silencieux
Cette peur, elle est omniprésente. Elle s’infiltre dans les conversations, elle conditionne les mots choisis et la manière de s’exprimer. Certes, nous avons le droit de parler, mais à quoi bon si la peur de représailles est plus forte que ce droit ?
Pour lutter contre cette terreur invisible, il nous faut une véritable restauration. Restaurer la confiance des citoyens envers les institutions, garantir qu’un post sur les réseaux sociaux ne devienne pas un motif de traque, et surtout, protéger ceux qui osent s’exprimer (après on n’a pas aussi dit d’insulter les gens sous couvert de la liberté d’expression). L’exemple doit venir d’en haut, avec des dirigeants qui valorisent la critique constructive, et non la répression.
L’espoir d’une nouvelle ère
Les pistes de solutions ? Elles existent. D’abord, il faut renforcer les lois sur la protection des lanceurs d’alerte, des journalistes et surtout le Gabonais lambda. Le droit de s’exprimer ne devrait pas être un luxe, mais un pilier fondamental de notre société. Ensuite, il est essentiel de réhabiliter la justice, pour que plus personne ne craigne d’être arrêté à l’aéroport pour avoir écrit ce que tout le monde pense tout bas. Enfin, il nous faut promouvoir un dialogue national inclusif (pas ce que vous avez fait là pardon, ça c’était quand même le foufou), où chacun, sans crainte, pourrait exprimer ses idées, même les plus dérangeantes.
Il est grand temps que la liberté d’expression au Gabon cesse d’être une chimère et devienne une réalité tangible. Parce que le silence, c’est bien pratique pour maintenir l’ordre… mais il tue la démocratie.