Tenez, prenons le cas Leckat. Il aurait pu être un simple contentieux administratif. Mais non. Il est devenu le symbole de notre schizophrénie nationale. Harold Leckat, directeur de Gabon Media Time, a eu l’outrecuidance de croire à la République. Il a cru qu’un contrat signé, homologué, exécuté et fiscalisé… serait, vous savez, respecté. Quelle naïveté. Ce pays est une terre de surprises.
Il a donc exécuté une commande de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), payé ses taxes, produit les livrables… et s’est vu répondre par un silence de glace, un refus sans justification. Pourquoi ? Parce qu’un nouveau directeur est arrivé, et que dans ce pays, chaque nomination est une amnistie personnelle et un bouton “reset” sur la légalité. L’État de droit ? Un concept à géométrie hiérarchique.
Mais ne vous inquiétez pas : la même CDC, qui dit ne pas avoir un sou pour une PME locale, aurait trouvé le moyen de verser des émoluments confortables à un ex-président de son conseil d’administration, en violation flagrante d’un décret présidentiel. Et pendant ce temps, des jeunes entreprises meurent la bouche pleine de promesses.
Et ce n’est pas tout. Harold Leckat a aussi osé mettre les pieds dans un autre plat : celui de la publicité. Ce petit monde où les multinationales brassent des milliards au Gabon… tout en ignorant majestueusement les médias locaux. Parce que oui, en 2025, il existe toujours une « xénophobie publicitaire » institutionnalisée. Eramet, Moov, Airtel, Sobraga… tous ces géants signent des campagnes à l’international, mais refusent de payer ne serait-ce que 500 000 FCFA à un média local. Résultat ? La presse gabonaise vit à genoux, mendie des miettes pendant que les discours sur la souveraineté résonnent dans les micros étrangers.
Mais on veut la stabilité nationale ? On veut une démocratie apaisée ? Alors pourquoi méprise-t-on ceux qui produisent de l’information locale, structurent le débat public, racontent nos récits, nos luttes, nos rêves ? Leckat le dit bien : « Un pays qui laisse ses récits nationaux entre les mains de l’étranger abdique d’une partie de sa souveraineté. »
Et pourtant, certains continuent à y croire. Certains, comme Leckat, comme d’autres PME, comme moi, comme nous, continuent de croire qu’un contrat a une valeur. Qu’un État digne respecte ses signatures. Qu’une vision présidentielle n’est pas un simple slogan de meeting. Mais jusqu’à quand ?
J’ai une pensée pour tous ces jeunes Gabonais qui veulent entreprendre. Qui veulent faire les choses dans les règles, créer, innover, participer. Ils se lèvent tôt. Travaillent tard. Déposent leurs dossiers. Respectent la loi. Mais à la fin, c’est toujours le même refrain : un fonctionnaire zélé, un silence institutionnel, et une gifle morale. Bienvenue dans la République Nouvelle. Même saveur, nouvelle étiquette.
Alors oui, Monsieur le Président. Ce combat n’est pas seulement celui d’un journaliste. C’est celui de toute une génération. Celle qui veut encore croire que ce pays peut fonctionner. Que la République n’est pas un club réservé à quelques initiés. Celle qui pense que la souveraineté économique commence par le respect de la parole donnée.
Et si ce contrat n’est pas payé, qu’au moins on ne vienne plus nous parler de refondation. Parce qu’on ne reconstruit rien sur du mépris.