Je me suis toujours dit ça parce que la plupart des gens que je connais reviennent offrir au pays le meilleur de ce qu’ils ont trouvé ou appris après s’être exilés à l’étranger. Il n’y a qu’à voir comment beaucoup d’anciens de la diaspora, de retour au pays, tentent de participer activement à la vie politique et économique du pays. Pas toujours avec beaucoup de sagesse, mais la plupart créent des business, lancent des initiatives novatrices au bénéfice des Gabonais restés au pays, « à ne rien faire d’autre que sortir tard le soir et dormir toute la journée ».
Parce que oui, c’est comme ça que beaucoup de gens de la diaspora nous voient souvent. Pour eux, on ne sait que groover, se chercher des sugar daddies et s’afficher avec les perruques les plus chères du marché, en gros entretenir une vie de paraître dépourvue de but réel. De la même façon, beaucoup d’entre nous, résidents, les voient comme des arrivistes que le rang social des parents propulse presque toujours au-devant des opportunités, facilitant ainsi leur accès au rêve américain gabonais. Il faut les voir les premiers mois, pleins d’idées, pleins de ressources, mais surtout pleins de hargne. Ils sont partout, partagés entre plusieurs business : locations meublées, restos, salles de pilates, instituts de beauté, e-médias, magazines de bons plans, et j’en passe… Ils ont à peine le temps pour leurs proches qu’ils jugent parfois dangereux pour leur « réussite »… « Au pays, on empoisonne », donc on fait attention… Et plus le temps passe, moins ils sont hargneux. L’envie de réussir n’a pas disparu, mais, au vu des difficultés, le rêve gabonais devient de plus en plus abstrait… Comme beaucoup de rêves, il est souvent de courte durée.
Après avoir connu la discrimination, la solitude, le manque de repères culturels, et parfois même le sentiment d’échec à l’étranger, ils se refusent à le revivre chez eux. Après avoir tenté et réessayé sans que ça marche comme ils l’imaginaient. Après avoir tenté de revendre à 100 000 FCFA un sac de citrons acheté à 100 000 FCFA, pour un bénéfice de 100 %, ils s’ouvrent aux réalités actuelles, à ce qu’ils considéraient comme des facilités à l’époque. Leur enthousiasme initial se transforme en déception. Certains finissent par quitter à nouveau le Gabon, déçus et frustrés. Mais d’autres restent, résignés comme nous tous, parce que de toute façon, le Gabon est un pis-aller, le nôtre.
Vous savez que j’aime bien vous faire découvrir des trucs, non ? Eh bien, pour enrichir votre vocabulaire aujourd’hui, sachez que « pis-aller » est un terme que l’on utilise pour définir ce à quoi l’on se résout, faute de mieux. C’est le haut niveau de la résignation, plus connu au pays comme « on va encore faire comment ? ». On est là, autant rester. On ne va pas retourner à l’étranger et de nouveau subir le racisme ou l’exclusion, payer les impôts… Donc on se laisse aller à ce qu’il y a : corruption, retournement de veste, enchaînement de « petites », grooves, plus de Régab que d’eau, délestages, chômage… On garde un sourire apparent. Mais derrière le sourire et la bonne humeur, on ressent souvent une frustration profonde face aux promesses non tenues, aux opportunités manquées, à la corruption endémique qui ralentit le développement du pays. Puisqu’on ne peut porter haut nos voix (en dehors des périodes électorales), on devient décrypteur d’actualité. On critique tout par tous les moyens dont on dispose : Facebook, Twitter, un Gabonais normal… En attendant de voir le soleil et de finir comme ceux qu’on critiquait jadis, parce que c’est quoi le rêve gabonais, sinon une place à l’ombre des billets ? On attend, on se résigne.
Pourtant, malgré cette résignation apparente, il y a quelque chose de fascinant dans la manière dont les Gabonais continuent de croire en leur pays (n’en déplaise à la Chronique d’un Pessimiste). Peut-être est-ce cette espérance tenace, cette croyance que demain sera meilleur. Ou peut-être est-ce simplement la force de l’habitude, cette routine qui fait que l’on finit par accepter les choses telles qu’elles sont. Survivre plus que vivre.
Les Gabonais sont des survivants. Ils ont appris à tirer le meilleur de ce qui leur est offert, à faire preuve d’ingéniosité et de créativité pour surmonter les obstacles, même si ça revient à vendre de la friperie, devenir vineur/tiktokeur, « dealer du mbaki », retourner chez les darons ou se poser en tchiza. Les marchés animés, les lives plus drôles les uns que les autres, les petits commerces familiaux, les initiatives communautaires sont autant de preuves de cette résilience.
Le Gabon possède pourtant tous les atouts pour briller : des ressources naturelles abondantes, une situation géographique stratégique, un peuple talentueux et passionné. Pourtant, malgré ces atouts, le pays peine à décoller véritablement, à sortir de cette spirale de la médiocrité dans laquelle il semble coincé. Pourquoi donc ?
À mon avis (et c’est bien le mien, celui d’une Gabonaise résidente qui se sert de ce dont elle dispose pour dénoncer), c’est parce que ces « richesses » sont gérées en petits groupes, toujours les mêmes noms… Mais on nous jure que le pays change, qu’il évolue, qu’il vit une « transition »… Alors, le Gabonais Normal continue de rêver d’un pays meilleur…
Et peut-être, un jour, ce rêve se réalisera.
La Fière Trentenaire 😘