Je crois qu’on a tous déjà entendu au moins une fois une histoire comme celle-là. Bon, j’avoue que j’ai un peu abusé, mais vu qu’on est tous plus ou moins de la même génération, nos parents le sont sûrement aussi. La génération dont toutes les âmes étaient premières de leur classe, bien qu’elles révisassent à la lueur d’une lampe-tempête et allassent à l’école en courant.
Entre-temps, nous sommes nous-mêmes devenus parents, et deux générations plus tard, bien que le monde se soit beaucoup modernisé, la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG) ne veut pas faire évoluer les choses, obligeant nos enfants à réviser à la bougie ou aux torches rechargeables, qu’on ne peut que rarement recharger, finalement.
En tant que parent moderne, je me refuse à obliger mes enfants à se contenter de peu alors que je travaille justement pour leur éviter de le faire. Aller à l’école en courant ou s’éclairer au lampadaire du carrefour le plus proche ? Pas question !!! Je m’assure donc qu’il y ait des unités EDAN à n’en plus finir, pour que mon jeune écolier fasse ses coloriages en distinguant le jaune du vert et que ma lycéenne puisse réviser ses cours jusqu’à ce qu’elle s’épuise et apprêter son uniforme pour être propre sur elle-même le lendemain. Pourtant, « Depuis mardi, ça fait depuis des années », ça ne sert pas à grand-chose.
Depuis près d’une année, les délestages font rage dans notre pays. Toutes les unités EDAN du monde n’y changent rien : ma fille lit tous les soirs, je dis bien TOUS LES SOIRS, à la lampe de son téléphone ou à l’une de nos lampes rechargeables.
D’aussi loin que je me souvienne, on n’a jamais autant subi de coupures de courant que maintenant. C’est si fréquent qu’on en vient à s’étonner quand il n’y en a pas eu de la journée. C’est incroyable. On compte désormais les ménages où il n’y a pas au moins une lampe rechargeable ou un ventilateur de la même trempe. Les plus aisés d’entre nous se sont munis de groupes électrogènes, dont le bruit perturbe le Gabonais normal dès que la SEEG reprend « son courant ».
Les manœuvres de l’État pour « aider » la célèbre société dans son rôle de fournisseur en énergie ne semblent pas arranger les choses. Des entreprises privées ont « offert » au Gabon plus d’une dizaine de groupes électrogènes (ceux que le Général jure qu’il a « achetés » là, voilà, ces groupes-là !). Une centrale flottante a été dépêchée d’un pays dont une certaine relation économique avec le Gabon a fait couler énormément d’encre il y a plusieurs semaines. On a remanié le management de l’entreprise, renforcé les équipes, menacé ses agents… Rien n’y fait, on a même l’impression que c’est pire.
Personnellement, chaque jour, je subis au moins deux coupures. Au travail, j’y ai droit entre 10 h et 14 h, puis à partir de 16 h, ce qui me laisse à peine trois heures sur les huit heures de travail par jour prévues par mon contrat. Même si mon poste de travail est muni d’un ordinateur portable, son autonomie ne me permet pas de travailler toute la journée, d’autant qu’il faut envoyer des mails, faire des recherches, imprimer des documents en Wi-Fi, etc. Et dites-vous qu’il m’est impossible de me « rattraper » à la maison, d’abord parce que j’ai une vie familiale à entretenir, mais aussi parce qu’en rentrant, j’ai encore droit à des délestages de 18 h à 21 h, puis de 23 h à 3 h du matin. Vous en avez compté combien ???
Toutes mes journées sont ainsi rythmées par la SEEG. Résultat des courses : je suis incapable d’avoir la même productivité qu’il y a quelques mois, impossible d’atteindre mes objectifs professionnels. Je suis épuisée : dès que mon ventilateur s’éteint, je deviens automatiquement celui de mon fils, et il m’est ainsi impossible de dormir. La journée, je suis à 10 %. J’essaie de maximiser le temps que j’ai, mais quoi que je fasse, le travail s’accumule, le mental est touché…
Une amie entrepreneure dans l’alimentaire m’expliquait récemment qu’elle avait « de nouveau » perdu un congélateur et qu’en plus, elle ne pouvait plus se permettre d’acheter ses matières premières en gros, de peur que tout se gâte au vu des multiples délestages et des pannes de ses équipements. L’impact sur son activité est réel, les coûts au détail lui reviennent plus cher et, après avoir perdu deux congélateurs, elle est au bout du rouleau.
« Je suis forcée de tout débrancher le soir avant d’aller me coucher, mais je ne te cache pas le travail que c’est de nettoyer l’eau du dégivrage tous les jours, avant de commencer à cuisiner… Du travail supplémentaire dont je pourrais me passer, surtout que je dors très mal. »
Débrancher des appareils tels que les réfrigérateurs et les congélateurs ne les endommage-t-il pas plus vite ? Je me suis posé la question. Je ne suis pas ingénieure en électroménager, mais je suis presque sûre que si. Quel autre choix a-t-elle, elle qui n’a pas encore les moyens de s’acheter un groupe électrogène ?
D’un autre côté, j’essaie de me mettre à la place de ma fille lycéenne en série scientifique, qui travaille de jour comme de nuit et qui est forcée de se tuer la vue le soir. Qui, une fois qu’elle a fini ses révisions, ne peut pas dormir paisiblement parce qu’elle devient le festin des moustiques sous cette chaleur de saison des pluies.
« Même en classe, c’est difficile, puisque les brasseurs d’air ne tournent pas. Il y a des profs qui ne veulent même pas bouger de leur chaise. Il fait tellement chaud que beaucoup de camarades s’endorment en plein cours… »
Mais est-ce la fatigue due au sommeil perturbé la veille ou la chaleur du moment qui empêche ces élèves de rester éveillés en classe ? Qui pour répondre ?
À l’heure où j’écris, on est dimanche, il est 10 h 35, et le courant vient de nous lâcher. Jusqu’à quelle heure ? Qui sait ???
Une chose est sûre : les résultats scolaires et professionnels de beaucoup en seront impactés.
Il est urgent que les autorités gabonaises prennent des mesures efficaces pour résoudre ce problème de délestage. Il est temps d’en finir avec le quasi-monopole de la SEEG et d’ouvrir ce marché à plus de structures, pourtant déjà existantes.
En attendant, mes chers compatriotes, il est important de continuer à se mobiliser et à faire entendre nos voix.
– La Fière Trentenaire ✨