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Grossesses précoces au Gabon : ce que les chiffres nous disent, et ce que nous ne voulons pas voir

En milieu scolaire, le constat est glaçant. Les grossesses précoces, loin d’être un fait isolé, traduisent une réalité sociale, éducative et économique complexe. Les chiffres, issus d’observations rigoureuses, ne laissent pas place au doute : nous faisons face à une urgence silencieuse.

Qui sont les auteurs ?
66 % des grossesses précoces en milieu scolaire impliquent des personnes issues du cadre scolaire lui-même : d’autres élèves, des enseignants, ou du personnel encadrant. Autrement dit, l’école, censée être un espace sûr, est aussi un lieu de vulnérabilité.

Qui sont les filles concernées ?
Certaines sont âgées de moins de 10 ans.
3 % d’entre elles n’ont même pas encore terminé le premier cycle du secondaire (jusqu’en classe de 3e).
Et ce n’est pas un phénomène isolé dans une seule région.

Provinces les plus touchées (taux de grossesses précoces avant 20 ans) :

  • Woleu-Ntem : 97 %
  • Nyanga : 93 %
  • Ogooué-Ivindo : 80 %
  • Estuaire : 79 %
  • Ngounié et Moyen-Ogooué : 77 %

Toutes les provinces sont concernées, mais certaines sont dans des situations critiques.

Pourquoi cela arrive ?

Les causes sont multiples, mais s’entrecroisent autour de plusieurs axes :

  • Un déficit criant d’éducation sexuelle : 42 % des filles ne connaissent pas ou utilisent mal les méthodes contraceptives.
  • Un encadrement familial fragilisé : à peine 24 % vivent avec leurs deux parents biologiques.
  • Des relations sexuelles dites “de compensation” (logement, transport, cadeaux…) touchent 30 % des filles.
  • Une influence croissante de l’environnement numérique et des NTIC, mal encadrée, qui banalise certaines pratiques dès le collège.
  • La pauvreté : 83 % des filles concernées vivent dans des quartiers populaires. 69 % dans des familles nombreuses (plus de 5 personnes).

Trois chiffres qui devraient suffire à sonner l’alarme :

  • 2 % des filles disent avoir eu leur premier rapport sexuel au primaire.
  • 12 % affirment que ce premier rapport était un viol.
  • 3 ans : c’est le délai moyen entre le premier rapport sexuel et la première grossesse.

Ce ne sont pas des chiffres à brandir pour créer la panique. Ce sont des faits à lire, à comprendre, à discuter. Car tant que le débat sur l’éducation sexuelle restera un tabou, tant que les mécanismes de signalement et de protection dans les établissements resteront défaillants, tant que la misère offrira son lot de rapports déséquilibrés, le phénomène continuera de croître.

Parler de sexualité à l’école n’est pas une provocation, c’est une nécessité.
Protéger les enfants, ce n’est pas les enfermer dans l’ignorance. C’est leur donner les outils pour comprendre, choisir, se défendre.

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ÉducationGabonOpinion

Pourquoi tant de redoublements en 6e ?

Esdras est prof. Et pas de ceux qui survolent. Elle voit, elle vit, elle constate. Et elle a fini par dresser un constat simple, froid, mais lucide : en 6e, beaucoup redoublent. Beaucoup trop. Et les raisons sont souvent les mêmes. Pas les notes, pas le bulletin. Non, des causes plus profondes. Plus structurelles.

1. Parce qu’ils sont trop jeunes.
Dans ce pays, on confond précocité et performance. Il faut sauter des classes pour briller. Résultat : des enfants de 9, parfois 8 ans, atterrissent en 6e. Une classe censée être celle du passage, du changement, de l’entrée dans un autre monde scolaire. Mais ils n’ont ni l’âge, ni la maturité pour ce saut.

2. Parce qu’ils ne s’adaptent pas.
Le passage du primaire au secondaire, c’est brutal. Fini le maître ou la maîtresse unique qui guide et accompagne. Bonjour les dix profs différents, chacun avec sa méthode, ses exigences, ses évaluations. Bonjour la prise de notes, les cahiers à tenir à jour, les devoirs à noter soi-même, les stylos perdus toutes les deux heures. C’est trop. Trop pour des gamins de 10 ans balancés dans une jungle scolaire sans boussole.

3. Parce que les conditions sont déplorables.
Des salles bondées, des effectifs ingérables. Comment espérer une attention individualisée quand on parque 100 enfants dans une même classe ? Même un enseignant motivé ne peut pas faire de miracles avec une telle surcharge.

4. Parce que les parents lâchent trop vite.
Déposer l’enfant le matin à l’école ne suffit pas. Il faut vérifier les devoirs, relire les leçons, écouter ses doutes, l’aider à s’organiser. Le collège, surtout en 6e, demande un accompagnement rapproché. Beaucoup trop d’enfants sont livrés à eux-mêmes dans ce saut périlleux.

5. Parce qu’ils n’ont pas le niveau.
Triste à dire, mais certains n’ont pas les bases. Ils arrivent avec un “bon dossier”, sautent les classes au primaire, mais une fois en face des exigences du secondaire, tout s’effondre. Esdras raconte que certains ne savent même pas écrire leur nom en entier. Ce n’est plus un problème de pédagogie. C’est un mensonge institutionnalisé.

Alors oui, ils redoublent.
Mais ils ne redoublent pas parce qu’ils sont “nuls”.
Ils redoublent parce qu’on a failli. Collectivement. Famille, système, politiques publiques.
Et eux, ils paient.

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GabonOpinion

« Je sais que tu es fauché mais fais un effort »

Tu connais, hein. Ce genre de phrase qui sonne comme un piège émotionnel déguisé en compassion. En vrai, ce n’est pas une demande. C’est un ordre social déguisé, une pression subtile mais bien huilée pour te faire sentir coupable de ne pas voler au secours des autres, alors que toi-même, tu vis avec ton overdraft comme colocataire.

Au Gabon, dire qu’on n’a pas d’argent, c’est comme avouer qu’on a trahi la patrie. On te regarde comme si tu venais de dire “je suis contre les piments dans les bouillons”. L’impensable. Et dans ce climat de suspicion financière permanente, certaines personnes ont développé un sixième sens de ton portefeuille.

Les urgentistes émotionnels

Ceux-là ont des urgences… dans ton argent. Oui, oui. Pas dans le leur. Leur mère doit se faire opérer. Leur cousin a raté le bus. Le chien du voisin a mangé leur dernier billet de 5.000. Tout est possible. Et TOI, tu deviens leur SAMU personnel. Et si jamais tu dis non, attention : ils basculent dans le mélodrame.
“Tu as changé, hein. Avant tu étais simple.”
Traduction : tu n’es plus rentable. Donc tu n’as plus d’utilité.

Et là, on te sort la phrase assassine :
“Je sais que tu es fauché mais fais un effort.”
Traduction libre : menteur, je sais que tu caches quelque chose.
Ils parlent comme si tu avais un compte secret dans une banque suisse, et qu’on était dans un épisode de “Inspecteur Mabounda.”

LES JAMAIS-LÀ

Tu les aides une fois, deux fois, quinze fois. Tu es là quand ils tombent. Tu es là quand ils pleurent. Tu es même là quand ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Mais le jour où toi-même tu tousses, silence radio. Le réseau coupe bizarrement. Ils deviennent invisibles, muets, occupés, en prière ou “en mode avion.”

Ce sont eux aussi qui envoient des statuts genre :
“La vraie amitié, c’est dans les moments difficiles.”
Sauf que dans leur film, les moments difficiles, c’est uniquement pour les autres. Eux, ils ont juste signé pour encaisser, jamais pour donner.

Les analystes de ta galère

Toi-même tu fais des calculs, tu bouffes sans jus, tu annules des sorties, tu compresses le budget à mort. Mais eux, au lieu de te demander “tu tiens comment ?”, ils demandent :
“Mais tu fais quoi de ton argent ?”
“Tu n’économises pas un peu aussi ?”
“Tu bois trop les sucreries là.”
Merci pour le conseil, coach financier, mais là je n’ai même pas de quoi acheter une banane.

Et attention, ces gens-là ne t’aident pas. Non non. Mais ils te jugent quand même.

Les ingrats à mémoire sélective

Là, on touche un point sensible. Ce sont les plus dangereux. Tu les aides quand ils sont dans la misère. Tu fais des efforts même quand tu n’as presque rien. Tu grattes pour eux, tu fais des sacrifices, tu fais des avances sur ton malheur. Mais le SEUL jour où tu dis non – pas parce que tu ne veux pas, mais parce que tu ne peux pas – c’est fini.

Tu deviens l’égoïste, le cœur sec, le faux gars.
Et comme si ça ne suffisait pas, ils disent même aux autres que tu n’aides jamais. Comme si tu étais une illusion.
Et là, tu restes là à te demander :
“Donc tout ce que j’ai fait là, c’était des rêves ?”

VOUS FATIGUEZ LES GENS !!!

La vérité, c’est que dans ce pays, beaucoup confondent générosité et obligation. Ils croient que parce que tu as donné une fois, tu as signé un contrat à vie. Or même les ONG ont des limites.

Alors oui, tu peux dire non.
Oui, tu as le droit d’être fauché.
Et non, tu n’es pas obligé de t’endetter pour entretenir des gens qui, de toutes façons, ne seront même pas là pour t’acheter un Doliprane si tu tombes malade.

Et la prochaine fois qu’on te dit :

« Je sais que tu es fauché, mais fais un effort…»
Réponds doucement :
“Je fais déjà un effort monumental en souriant avec 432 francs dans mon compte. On va s’en tenir là.”

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GabonOpinion

Gabon : médecins après la mort, ou bourreaux qui s’achètent une conscience ?

Dormir dehors, faire ses devoirs à la lumière d’un lampadaire, chercher l’intimité dans une bâche tendue entre deux espoirs… Voilà ce que vivent aujourd’hui des familles gabonaises, non pas à cause d’un cyclone ou d’un glissement de terrain, mais d’un bulldozer. Leur bulldozer. Envoyé par l’État. Applaudi en coulisses par ceux qui, aujourd’hui, font mine d’essuyer une larme.

Oui, il faut le dire clairement : ce sont les autorités elles-mêmes qui ont créé cette crise. Pas la pluie, pas le hasard, pas une quelconque urgence. Juste une politique sans âme, exécutée avec froideur. Des maisons rasées comme des châteaux de sable. Des vies piétinées sous prétexte d’aménagement. Et ensuite ? Rien. Pas une tente. Pas un toit. Pas même un mot.

Il aura fallu les vidéos sur les réseaux sociaux, les cris des sinistrés, la honte qui voyage plus vite que le mensonge, pour que le Palais Rénovation sorte de son sommeil. D’un coup, le président est sur le terrain. Il écoute. Il promet. Il joue l’humaniste en chef. Le 16 juin, réunion au sommet : ministres, sinistrés, technocrates. Tout ce beau monde se penche sur le cadavre social qu’il a lui-même tué.

Et nous voilà replongés dans le grand classique gabonais : la compassion après la claque.

On nous parle maintenant de « relogement », d’« indemnisation », d’« approche humaine ». C’est noble sur le papier. Mais dans la réalité, c’est un peu comme si un pyromane vous tendait une bouteille d’eau après avoir incendié votre maison. Avec le sourire.

« On ne nous a même pas dit de partir. On a juste vu arriver les machines. En quelques minutes, tout ce qu’on avait construit pendant 15 ans était à terre. Et aujourd’hui on vient nous demander de faire confiance ? », lâche Stéphanie, mère de trois enfants, encore choquée par la brutalité de l’opération.

Un comité de suivi a même été mis en place, dirigé par le vice-président Dr Séraphin Moundounga. Son rôle : s’assurer que les engagements soient respectés. Mais au Gabon, un comité, c’est souvent une salle climatisée, des per diem, et une très belle manière de laisser pourrir le dossier en paix.

Le vrai problème ici, ce n’est pas la communication tardive. C’est l’absence de planification. On agit d’abord, on pense ensuite. On détruit, puis on se demande où vont dormir les gens. On frappe, puis on se demande s’il fallait prévenir. Résultat : gestion de crise à l’envers, version rafistolage émotionnel et caméra bien cadrée.

Et pendant que le pouvoir essaie de rattraper sa propre faute, les familles, elles, attendent. Elles n’ont pas de comité. Pas de badge. Pas de micro. Juste leurs matelas posés à même le sol. Leur dignité empaquetée dans un sac plastique. Et leur colère, intacte.

Parce que les Gabonais ont compris une chose : ce n’est pas un oubli. C’est une négligence. Volontaire. Organisée. Injustifiable.

Alors non, ce n’est pas « mieux vaut tard que jamais ». C’est trop tard, et c’est votre faute.

Et cette fois, le peuple ne veut pas de promesses. Il veut des comptes.


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GabonOpinionSociété

Un combat contre la douleur, un combat pour la vie : la drépanocytose.

Quand on parle de drépanocytose, on met en avant des personnes amaigries, au ventre ballonné et aux yeux jaunes. Oui c’est ça… mais pas que. Handicap visible mais bien mortel, la drépanocytose est une pathologie génétique et héréditaire très présente en Afrique subsaharienne.

La cause de ce handicap : une malformation au niveau des globules rouges dans le sang.
Elle se caractérise par des anémies sévères et des douleurs régulières, subites et constantes. Parfois à la tête, mais aussi aux membres inférieurs et supérieurs, ce qui fait que des fois tout le corps du malade n’est que douleur, une douleur INTENSE.

Au Gabon, 25 % de la population est porteuse du gène sans être malade, ce qui veut dire qu’une personne sur 4 est AS ; et la proportion des malades drépanocytaires est estimée à 2 % de la population.
Selon moi, ces chiffres montrent que la drépanocytose doit être reconnue comme une priorité de santé publique dans notre pays.

En tant que tante de 3 enfants drépanocytaires, j’ai côtoyé de très près les crises régulières, le quotidien difficile des parents et la douleur de ces enfants, et parfois l’inévitable. Et je peux affirmer que la prise en charge d’un enfant drépa n’est pas chose aisée en général, et encore moins ici au Gabon. Et ce sur plusieurs aspects :

Niveau scolarité

À chaque rentrée des classes, ma sœur se doit d’informer le maître ou la maîtresse de la maladie de l’enfant. Il/elle doit comprendre que l’enfant ne ment pas quand :

  • il va demander la permission toutes les 30 minutes pour aller uriner (un drépa boit énormément d’eau) ;
  • il pourra avoir des douleurs subites, parfois sans explication, en cours de journée, et qu’il faudra qu’il aille à l’infirmerie ou qu’on prévienne ses parents.

Malheureusement, très souvent, les écoles n’ont pas d’infirmerie compétente pour prendre en charge les premières minutes de crises.

Heureusement, nous avons souvent eu affaire à des maîtresses compréhensives qui prenaient au sérieux les besoins des enfants. Mais ce n’est pas tout le temps le cas.

Niveau économie

Les enfants malades vivent très souvent au rythme des crises, qui surviennent en moyenne une fois par mois, parfois un peu plus.
Ces épisodes, extrêmement douloureux, nécessitent régulièrement des hospitalisations.

Malheureusement, en raison des limites du système de santé public, nous n’avons d’autre choix que de nous tourner vers des cliniques privées pour offrir aux enfants une meilleure prise en charge.

Une fois sortis de l’hôpital, les ordonnances s’enchaînent : médicaments, examens complémentaires, suivis spécialisés…
Résultat : un bilan financier mensuel particulièrement lourd, et un endettement sans fin.

Niveau santé

Le protocole de prise en charge des patients drépanocytaires n’est malheureusement pas bien maîtrisé dans tous les établissements de santé.

Il arrive souvent, par exemple, qu’en cas d’hospitalisation de l’un des enfants, ma sœur ou mon beau-frère doive expliquer eux-mêmes aux infirmiers la conduite à tenir, tout en rappelant les spécificités médicales du dossier de leur enfant.

Une situation épuisante, qui souligne à quel point la connaissance de la maladie reste encore insuffisante au sein de notre système médical.

On a parfois le sentiment que certaines structures médicales ne réalisent pas à quel point chaque crise, même minime, peut avoir des conséquences graves chez un enfant drépanocytaire.
Un simple symptôme, bénin en apparence, peut rapidement conduire à l’inévitable.

Je me souviens d’une fois : l’une de mes nièces malade présentait les premiers signes d’un palu. Par précaution, ma sœur l’a immédiatement conduite aux urgences.
L’infirmière qui l’a reçue, visiblement peu préoccupée, s’est permis de dire sur un ton léger :
« Ce n’est qu’un début de palu, vous auriez pu aller en pharmacie. »

Même après qu’on lui ait précisé que l’enfant était drépanocytaire, elle n’a pas semblé saisir la gravité potentielle de la situation.
Ce jour-là, elle a été hospitalisée.

Heureusement, toutes les structures de santé ne réagissent pas de cette manière.
Mais cet exemple montre bien à quel point la sensibilisation à la drépanocytose reste encore insuffisante, même chez certains professionnels de santé.

Je sais que plusieurs viendront avec un discours moralisateur disant :
“Ils sont irresponsables, pourquoi n’ont-ils pas fait les tests avant de se mettre ensemble ? S’ils les avaient faits, ils auraient compris qu’ils ont le gène de la maladie et n’auraient pas fait d’enfants ensemble.”

Ce qui n’est pas faux en soi.
Mais on pourrait aussi dire :

« Et si on en parlait un peu plus dans les médias afin que tout le monde sache ce que c’est ? »
« Et si l’État lançait des campagnes de sensibilisation à grande échelle pour inciter les gens à se faire dépister ? »
« Et si l’électrophorèse devenait gratuite afin de rendre cet examen plus accessible à tous ? »

“Et si … Et si… ?” Avec des si, on pourrait s’asseoir et refaire le monde. Mais tel n’est pas l’objectif.

J’en parle aujourd’hui parce que les enfants sont là, et que cette réalité fait partie de notre quotidien.
Ce n’est peut-être pas la faute de l’État, mais ces enfants ne méritent-ils pas qu’il y ait une prise en charge adaptée à leur cas ?
Que ce soit au niveau de leur scolarité, des finances de leurs parents ou, plus important encore, de leur santé ?

Chaque 19 juin, on célèbre la Journée mondiale contre la drépanocytose.
Une journée pour s’arrêter un instant, réfléchir, et agir en conséquence.
Premier pas : connaître son statut. Cher lecteur, connais-tu ton statut ? Es-tu AA, AS ou SS ?

– MissKa

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ConteGabonOpinion

Le pain, la route et le bon sens

Dans ma petite ville de province, j’ai ouvert une boulangerie. Petite, modeste, mais efficace. Tous les matins, je me lève aux aurores, je mouille le maillot, j’enfourne, je défourne… Et au final, je produis 200 pains par jour. Pas un de plus. C’est ma capacité actuelle.

Problème : la ville a besoin de 300 pains. Il en manque donc 100 pour satisfaire tout le monde. Là, n’importe quel technocrate ou décideur en cravate te dira : « Ah ben, faut augmenter la production ! Faut agrandir la boulangerie ! Faut acheter un deuxième four ! »

Mais c’est là que le bon sens entre en jeu.

Parce que sur les 200 pains que je produis, seuls 100 arrivent effectivement à la boulangerie en ville. Pourquoi ? Parce que le reste est perdu pendant le transport. Les routes sont dans un état lamentable. Le livreur esquive les nids-de-poule plus gros que sa moto, les caisses tombent, les pains se gâtent. Résultat : j’ai beau suer pour 200 pains, je ne vends que la moitié. Et on me dit que la solution c’est… produire plus ? Sérieusement ?

Ce n’est pas ton four qui pose problème.
Ce n’est pas le manque de farine.
Ce n’est même pas la demande.

Le vrai problème, c’est la route.

C’est elle qui fait perdre la moitié de ta production.
C’est elle qui fait chuter ton chiffre d’affaires.
C’est elle qui transforme ton effort en échec apparent.
Et c’est pourtant elle qu’on refuse de voir.

Alors on tourne en rond. On veut multiplier les boulangeries, augmenter la cadence, faire des inaugurations à la télé. Mais on laisse les routes pourrir. On produit toujours plus… pour jeter toujours plus.

C’est valable pour le pain. Mais c’est aussi valable pour l’électricité, pour la santé, pour l’éducation.
On injecte des milliards, on brandit les chiffres… mais la moitié se perd en chemin.
Et personne ne s’attaque à la route.

Si tu veux vraiment nourrir ton peuple, commence par assurer la livraison.

Sinon, tu cuisineras pour des trous.

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ConteGabon

La Savane en Ordre

Dans le royaume de la Grande Savane, on venait tout juste de festoyer. L’intonisation du nouveau roi avait été un moment grandiose. On avait dansé, chanté, mangé jusqu’à plus soif. Tout le monde semblait heureux. Ou du moins, tout le monde faisait semblant.

Mais à peine les tambours rangés, le roi convoqua ses hyènes. “Il est temps de faire le ménage.” Les hyènes, toujours promptes à bien se faire voir, hochèrent la tête avec un zèle peu rassurant. Sans demander plus de précisions, ou peut-être en ayant très bien compris les sous-entendus, elles se mirent à quadriller la savane.

Leur mission ? Ranger. Leur méthode ? Chasser.

Ce sont d’abord les antilopes qu’on somma de déguerpir. Trop nombreuses, pas assez utiles, pas dans le bon coin. Certaines avaient pourtant grandi là. D’autres avaient même reçu autrefois l’autorisation des anciens rois de bâtir leur terrier près des baobabs. Mais l’époque avait changé.

Tu vis ici ? Et à quoi sers-tu exactement ?” lança une hyène en déchirant une paillote. Être antilope ne suffisait plus. Il fallait maintenant justifier son utilité dans la savane. Les plus lentes furent délogées sans autre forme de procès. Les plus rapides coururent, non pas pour survivre, mais pour sauver leur case, leur marmite, leur souvenir.

Pendant ce temps, les hyènes se servaient. Elles arrachaient les toitures, transportaient les pierres, prenaient le peu qu’il restait aux antilopes — tout en répétant que *“le roi l’a demandé”*. Et puisque le roi, du haut de sa termitière dorée, ne disait mot, chacun comprit qu’il consentait.

Le peuple se taisait.

Ou murmurait seulement.

Et dans le silence, une nouvelle règle s’imposa : ici, désormais, seuls les forts restent. Les autres, qu’ils déguerpissent.

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GabonOpinionSociété

« Non, souffrir en silence ne fait pas de vous un homme »

« Ce n’est pas parce que vous restez froid que vous êtes forts. Ce n’est pas parce que vous souffrez en silence que vous êtes plus dignes. »

Depuis trop longtemps, beaucoup d’hommes s’enferment dans une posture de douleur silencieuse érigée en preuve ultime de virilité.

C’est un fantasme collectif tenace, souvent entretenu dès l’enfance : « Un homme, un vrai, ne pleure pas. », « Un homme ne parle pas de ses états d’âme. »

Et pourtant, cette posture n’a rien d’héroïque. Elle est destructrice, pas logique, elle est absurde.

« Le piège du martyr masculin »

Souffrir en silence n’est ni une preuve de force, ni un acte noble. C’est un mécanisme d’évitement, une fuite. Et si certains hommes restent englués dans cette logique sacrificielle, ce n’est pas par manque de solutions c’est par attachement au rôle du martyr.

Parce que oui, certains hommes aiment souffrir. Pas consciemment, bien sûr mais ils s’attachent à leur douleur comme à une identité et lorsque quelqu’un leur tend la main, ils répondent, « Je vais gérer, t’inquiète. »

Mais la vérité, c’est que l’on ne « gère » pas.On s’enfonce. On devient émotionnellement indisponible, irritable, parfois violent envers soi-même ou les autres.

« L’éducation ne peut plus servir d’alibi » « Tu ne peux pas comprendre, j’ai grandi dans une famille où on ne parlait pas. » « Dans mon éducation africaine, un homme ne se plaint pas. ».

C’est vrai, c’est une réalité. Mais ce n’est pas une excuse. Une fois adulte, on a le droit et le devoir de questionner ce qu’on a reçu, de choisir ce qu’on garde, et ce qu’on rejette comme le chante d’ailleurs si bien Tita Nzebi dans sa chanson « Sôle Moyi A Wè ».

À l’ère où la connaissance, la thérapie sont plus accessible, se complaire dans sa douleur est un choix. Et c’est là que le bât blesse car de nombreux hommes admettent ne pas aller bien mais ne font rien pour aller mieux. Ils savent qu’ils sont émotionnellement coupés, vides, instables, mais n’agissent pas.

Ils rationalisent leur inertie, ils se persuadent que demander de l’aide serait une faiblesse. Alors que c’est précisément le contraire.

« La logique masculine n’est pas celle qu’on croit »

On entend souvent que les hommes seraient « plus logiques » que les femmes, moins « trop émotionnels ». Mais quelle logique y a-t-il à souffrir en silence ? À refuser de consulter un psychologue alors qu’on se sent mal depuis des mois ? À rester dans un environnement toxique, des amitiés vides, une relation mortifère juste pour ne pas avoir à faire face à soi-même ?

La vraie logique est pourtant simple : Si je ne vais pas bien, je cherche à comprendre pourquoi ensuite je cherche de l’aide et je vais mieux. Refuser cela relève à mon sens d’une certaine immaturité émotionnelle. « La virilité ne devrait plus être un obstacle au soin ».

Nous devons impérativement revoir la vision qu’on a de « être un homme ». De toutes évidences, un homme ne se résume pas à sa capacité à encaisser. Non, un homme ne se mesure pas à sa froideur. Un homme, un vrai, c’est quelqu’un qui a le courage de faire face à sa douleur. C’est quelqu’un qui accepte de ne pas aller bien, qui accepte d’être vulnérable et agit en conséquence.

Parce que la vulnérabilité n’est pas une faiblesse. Accepter sa vulnérabilité c’est être lucide.« Arrêtons de glorifier l’autodestruction ». Votre souffrance ne fait pas de vous des héros. Elle ne vous rend pas plus profonds, ni plus respectables. Elle vous détruit et elle détruit ceux qui vous entourent.

Et si vous continuez de confondre absence d’émotion avec logique… Alors vous n’êtes pas « stoïque » mais simplement déconnectés et cette déconnexion, c’est de la peur.

« Ce n’est pas parce que vous n’agissez pas avec émotion que vous êtes logiques. Parfois, vous êtes juste dans le déni. »

Solomoni

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ÉconomieGabonOpinionSociété

« Refuser d’avoir des enfants dans cette économie : un acte de résistance, pas un caprice de la Gen Z »

De plus en plus de personnes de ma génération, amis, collègues, anciens camarades de classe font le choix d’avoir des enfants. Naturellement, cette tendance m’amène à m’interroger : Est-ce que j’en ai envie ? La réponse à cette question n’est pas toujours évidente, mais elle penche davantage vers le non.

En discutant avec d’autres jeunes, je constate que cette incertitude est largement partagée.
Alors, peut-être que la vraie question à poser est la suivante : quelles bonnes raisons avons-nous de procréer dans le monde d’aujourd’hui ?

« To Break A System, You Need To Starve It »

Dans un monde en pleine décadence, refuser d’avoir des enfants n’est plus seulement une décision personnelle, c’est un acte politique, une révolte silencieuse contre un système qui nous a trahis, génération après génération.
C’est dire “non” à la reproduction d’un modèle injuste, toxique et voué à l’échec.

« Ce système est une arnaque »

L’économie mondiale, dominée par le capitalisme sauvage, a systématiquement échoué à garantir la dignité humaine.
On nous a vendu le rêve de la méritocratie, de la croissance, du progrès technologique censé améliorer nos vies mais dans les faits, ces promesses n’ont profité qu’à une poignée de privilégiés.

Les milléniaux croulent sous les dettes, l’instabilité financière et l’incertitude.
Nous, la Génération Z, héritons d’un monde brûlé, précarisé, hyperconnecté mais émotionnellement isolé.
Le climat s’effondre.
Le logement est hors de prix (clin d’œil aux Librevillois).
La santé devient un luxe.
Les salaires stagnent, pendant qu’Elon Musk s’envoie dans l’espace.
Et dans ce chaos, on nous demande de faire des enfants ? Dans quel but ? Les offrir comme nouveaux esclaves à un système destructeur ? Non merci.

« Refuser de procréer, c’est refuser de nourrir la machine »

On dit souvent que les enfants sont l’avenir, mais de quel avenir parle-t-on ?
Celui d’un monde écologiquement condamné, où l’individualisme règne et où l’humain n’est qu’une ressource exploitable ?

Avoir un enfant aujourd’hui, ce n’est plus seulement un projet de vie.
C’est un acte aux conséquences éthiques lourdes.
Il ne s’agit pas de juger ceux qui veulent fonder une famille, mais de poser une question essentielle :
Pourquoi perpétuer une structure qui nous asphyxie déjà nous-mêmes ?
Tenir un tel discours en tant qu’Africain, c’est s’exposer aux critiques.
Pourtant, soyons honnêtes : Êtes-vous sûr de vouloir votre vie pour votre enfant ?

« Le système ne tombera pas tant qu’on continuera à le nourrir »

Ce n’est pas une posture à la mode. Ce n’est pas un caprice générationnel.
C’est un cri de douleur pour ce que pourrait être un monde plus juste.

Solomoni

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« Expulsez-les d’abord, on verra après »

Entre urgence et mépris de classe, le gouvernement gabonais n’a jamais pris le temps de faire les choses correctement. L’opération « Retour de la dignité » ? Un échec, mon Général.

S’il y a bien une constante au Gabon, ce sont les méthodes. Gouverner en brutalisant, mépriser les plus précaires, les frapper sans prévenir… On connaît. Et après le PDG, rien n’a changé : les hommes sont restés les mêmes, seule la chorégraphie est différente.

Depuis quelques jours, c’est un spectacle accablant qui se joue dans certains quartiers de Libreville. Des centaines de familles, leurs affaires entassées dehors, attendent de pouvoir rejoindre un parent compatissant — pour les plus chanceux. Les autres ? Rien. Pas d’aide. Pas de solution. Parce qu’une fois de plus, l’État a agi dans l’urgence, en niant les besoins les plus élémentaires de ses citoyens. Se loger, c’est quand même la base.

Ce déguerpissement, censé « assainir » la capitale, aurait pu être défendable si les méthodes ne rappelaient pas celles d’un État profondément irrespectueux du bien-être de ses propres administrés. On aurait pu commencer par indemniser, reloger, dialoguer. Ça a été fait pour certains. Mais pour d’autres, rien. Le néant.

Soyons justes : il y a eu des tentatives de respecter les procédures. Des courriers, des réunions, des délais. Mais la réalité, c’est que de nombreux bailleurs — qui devraient être poursuivis — n’ont pas pris la peine d’en informer leurs locataires. Pourtant, en tant que propriétaires, ils ont l’obligation d’annoncer ce genre de contrainte. Quand on vit dans un État de droit…

Entre ces bailleurs indélicats et les oubliés du Ministère, on compte aujourd’hui plusieurs vies littéralement en danger. Disons les termes : c’est de la précarisation programmée à ce stade. Où iront donc toutes ces familles ? Même celles qui ont été indemnisées doivent aujourd’hui se reloger dans un Libreville où les prix de location explosent. Où sont les logements sociaux tant attendus ? N’aurait-on pas pu, justement, attendre encore un peu que ces infrastructures voient le jour avant de vider des quartiers entiers ?

Cette stratégie qui consiste à faire sans réfléchir, sans prévoir, doit cesser. Le mandat du président actuel est de sept ans. Sept ans, c’est peu. Mais c’est assez pour changer de méthode. C’est assez pour prendre le temps. Pour mener des études sérieuses. Pour anticiper les besoins. Et parfois, ces études sont déjà des actions, car elles posent les bases concrètes d’un développement durable. L’épanouissement du Gabonais passe aussi par là : par la planification, la rigueur, et le respect.

Mais voilà : on préfère faire semblant. Expulser d’abord. Voir après. Et tant pis si, entre deux camions de déménagement, des familles s’effondrent.

Je te dis tout