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« Je la donne, je la parle, je lui trahis » — Et alors ?

« Je la donne, je la parle, je lui trahis. » Ce genre de phrases, on les entend partout : dans les rues de Libreville, dans les taxis, dans les salles d’attente, et même à la télé. Elles font partie de notre quotidien. Mais bizarrement, dès qu’on les relève, c’est souvent pour s’en moquer.

Moi-même, je l’avoue : j’ai longtemps été de ceux qui corrigeaient, qui levaient les yeux au ciel, qui soupiraient à chaque « je vais au Gabon demain matin là ». Jusqu’à ce qu’on me fasse remarquer que ce que je croyais être de « l’éducation » était en fait souvent du mépris.

Parce que oui : ces phrases, ces tournures, ces fameux barbarismes qu’on stigmatise tant — je lui trahis, elle m’a donné la faim, il m’a insulté à moi là — sont peut-être fautives selon la grammaire académique française, mais elles sont surtout vivantes, populaires, et identitaires. Elles disent qui nous sommes, d’où l’on parle. Elles disent notre rapport au français, langue héritée, langue imposée, mais aussi langue réappropriée.

Et ce phénomène n’est pas propre au Gabon. Au Québec par exemple, on parle fièrement de chemises carreautées (et non carrelées), et on dit « je m’en va chez nous » plutôt que « je vais chez moi » — ou, mieux encore, « je rentre chez moi ». Ce n’est pas une faute pour eux, c’est leur français, leur manière de parler, de se situer dans le monde. Et personne ne remet leur intelligence en question à cause de ça.

Alors pourquoi nous, chaque fois que nos particularismes linguistiques s’expriment, on s’empresse de les cacher ? Pourquoi ce besoin quasi pavlovien de corriger ceux qui disent « il m’a insulté à moi là » ? Pourquoi ne pas reconnaître qu’il existe un français gabonais, comme il existe un français québécois, ivoirien, ou sénégalais ?

Bien sûr, il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas apprendre le français académique. Il faut le maîtriser, surtout dans un monde où il reste encore (hélas) une clé d’accès à l’emploi, à la reconnaissance. Mais il faut pouvoir le faire sans mépriser nos façons de parler, sans renier nos rythmes, nos structures, nos expressions. Le bilinguisme, c’est aussi ça : parler plusieurs registres, plusieurs langues, sans avoir honte de l’une pour valoriser l’autre.

Alors oui, peut-être que je la donne, je la parle, je lui trahis, ce n’est pas académique. Mais c’est nous. Et ça mérite d’être compris, exploré, transmis — pas effacé.

Je te dis tout

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INA ou Le NOM chez les Myènè, 2ème partie

Nous restons toujours dans la thématique du nom, en abordant cette fois-ci la question du « prénom » chez nous.

De manière générale, les prénoms obéissent aux règles du temps et d’une certaine mode. Les prénoms comme Jean-Pierre, Marie Augustine, Philomène vous renverront directement, pour les gens de notre génération, aux années 30 à 70. Tandis que Lucas, David, Jessica, Grâce, sont assez commodes entre les années 80 et 90.

Aujourd’hui, entre les années 2010 et 2020, la tendance tangue vers quatre catégories de prénoms : à savoir, les beaux prénoms anglicisés, les prénoms français composés, les prénoms bibliques et leurs dérivés, et plus récemment les prénoms d’origine africaine. C’est ce dernier groupe qui nous intéresse. Si, pour certains parents, donner à leur enfant un prénom africain n’obéit à aucune volonté particulière, à part que le prénom choisi est joli, pour d’autres, donner à son enfant un prénom africain revêt une certaine signification. Par ce geste, ils revendiquent leur origine culturelle et la volonté de reconnecter leur progéniture à cette racine traditionnelle, qui tend aujourd’hui à disparaître.

C’est donc pour faire écho à cette volonté et cette demande de plus en plus croissante que nous avons recueilli ces quelques prénoms dans différents forums ethniques et linguistiques gabonais, afin d’offrir aux parents gabonais une ébauche de prénoms typiquement gabonais et leur traduction/signification.

Cependant, avant de livrer ladite liste des « prénoms » proprement dite, nous avons jugé opportun de revenir un tant soit peu sur ce qu’est le prénom chez nous et sa portée. Ce baragouin passera sûrement inaperçu, tant nombreux s’attèleront plus sur les prénoms que sur le charabia qui précède. Mais ceux qui s’y attarderont pourront y trouver des éléments assez intéressants. Et pourquoi pas, y trouver l’inspiration par rapport au futur prénom de leur(s) enfant(s). Il est à noter que nous nous appuyons sur la culture myènè, qui est la nôtre. Cependant, pour les autres ethnies, le fond pourrait être le même avec quelques variantes.

Dans la culture profonde myènè, le prénom n’existe pas (c’est dit). D’ailleurs, le nom de famille non plus ! Comme nous l’expliquions il y a quelque temps dans un article précédent, autrefois (galonga), les myènè ne portaient ni nom de famille, ni prénom. Chaque individu avait un nom unique, un nom qui lui est propre (un peu à la manière des personnages bibliques). Ce nom pouvait être un legs d’un parent vivant ou décédé, dans le cas des homonymes, ou un nom usuel donné en fonction des circonstances de la naissance (noms des jumeaux, noms après guérisons, premiers-nés, etc.), ou un nom donné par inspiration à la suite d’un événement donné. D’ailleurs, beaucoup de noms devenus communs sont nés de cette manière et ont été ensuite transmis par le système des homonymes autrefois, puis celui des « noms de famille » récemment.

Ainsi, les noms uniques qui étaient donc portés faisaient simultanément office de noms et de prénoms. D’ailleurs, si on en croit la définition du dictionnaire Larousse, pour qui « le prénom est un nom qui sert à différencier les individus d’une même famille », on peut déduire que les noms uniques portés autrefois avaient aussi le rôle du prénom.

À côté de ces noms, il y avait aussi des « petits noms » et des « Kombo ». Les petits noms ou noms de la maison avaient de nombreuses origines. Il pouvait s’agir du diminutif du nom, ou d’un dérivé, d’une phrase ou d’un fait qui nous est rattaché, d’un prénom affectif, etc. Le petit nom pouvait servir à appeler un individu sans citer le nom du patriarche ou de la matriarche dont il avait hérité le nom. Nous rappelons qu’à cette époque, il était quasi impossible pour un homme ayant donné à son enfant le nom de son père ou de sa mère de l’appeler directement par ce nom. Par respect, il l’appellera toujours « tata », « mama », ou utilisera le petit nom.
Le Kombo, quant à lui, est un nom initiatique.

Les prénoms tels qu’on les conçoit aujourd’hui rentrent chez les myènè avec les campagnes d’évangélisation. Lorsque nos ancêtres sont baptisés, les missionnaires leur donnent de nouveaux « noms », qui seront d’ailleurs connus sous l’appellation de « noms de baptême ». D’après les commis de l’évangile, à cette époque, il faut obligatoirement porter un nom/prénom de saint (qui deviendra d’emblée ton saint patron) pour pouvoir accéder au sacrement de renaissance. Ce qui est assez drôle, c’est que ces soi-disant saints, de leur vivant, n’avaient pas eu à porter le nom d’un saint (ou même un nom juif) pour vivre dans la sainteté et accéder au baptême.

Bref, par ce mécanisme, nombreux sont nos ascendants qui adopteront des noms de baptême qui deviendront leurs prénoms. En parallèle, avec l’administration coloniale et l’alphabétisation des populations, les déclarations de naissance, les Africains colonisés doivent désormais se conformer à ce système de « dénomination » comme chez eux : Nom + prénom. Les prénoms choisis seront essentiellement des prénoms français contemporains. Pour les noms, beaucoup de familles adjoindront au nom propre de l’enfant celui de son père, comme il est d’usage en Occident. C’est la naissance des noms de famille chez beaucoup de peuples africains.

Je te dis tout