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La gentillesse du voleur

Il existe une phrase qu’on entend souvent dans les milieux professionnels au Gabon : « Il était gentil. »
On parle ici d’un supérieur, d’un chef de service, d’un directeur… quelqu’un dont tout le monde sait qu’il détourne des fonds ou abuse de son pouvoir. Pourtant, on choisit de le défendre sur la base de ce qu’il “partageait” avec ses collaborateurs. Il donnait un peu, donc il était “gentil”.

Ce genre de remarque illustre un problème plus large : la normalisation de la corruption dans la société gabonaise. Au lieu d’être dénoncée, elle est parfois valorisée, tant qu’elle profite à ceux qui en parlent. C’est un symptôme d’un mal plus profond : la corruption n’est plus perçue comme un vol, mais comme une forme de générosité quand elle est redistribuée.

Une réalité présente, mais jamais confrontée

La corruption est omniprésente dans la vie quotidienne au Gabon. Mais elle est aussi profondément enfouie dans le silence collectif.
C’est l’éléphant dans la pièce : tout le monde la voit, tout le monde en souffre ou en profite, mais personne ne veut en parler. C’est devenu un fait acquis. Un rouage du quotidien.

Quand on évoque la corruption, on pense souvent aux responsables politiques, aux ministres ou aux directeurs d’administrations. Mais cela ne s’arrête pas là. Ce serait une erreur de croire qu’elle ne concerne que les élites. Au contraire, elle est aussi horizontale. Elle traverse toutes les couches sociales.

Des petits arrangements entre collègues, des dessous-de-table pour débloquer un dossier, un billet glissé pour accélérer une procédure, un étudiant qui paie pour obtenir une note : ce sont des pratiques courantes. Elles impliquent des citoyens ordinaires, qui, à leur niveau, participent au maintien du système.

Une culture du contournement

La corruption ne choque plus. Elle est intégrée.
Elle a même ses propres codes et son langage. On ne parle jamais de pot-de-vin ou de corruption. On dit plutôt qu’il faut “motiver quelqu’un”, “faire un geste”, “donner le coca”. Ce sont des expressions qui adoucissent la réalité, qui permettent de continuer sans trop se poser de questions.

Ce n’est pas seulement une façon de parler : c’est une manière de rendre acceptable l’inacceptable. En évitant les vrais mots, on évite de confronter la gravité des actes.

Et ce système devient vite la norme. On s’adapte, on apprend à faire “comme tout le monde”, et très vite, la corruption n’est plus une exception : c’est la condition nécessaire pour obtenir ce qui, en principe, devrait être un droit.

La banalisation du mal

Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que cette réalité est justifiée au quotidien.
Par exemple, lorsqu’on apprend qu’un fonctionnaire s’est enrichi de manière suspecte, on entend souvent :
« Oui, mais au moins il a construit chez lui. »

Autrement dit, tant que l’argent volé a servi à bâtir une maison dans le quartier ou à organiser des funérailles pour les parents, cela rend le détournement plus acceptable. Comme si le fait de “partager” une partie des gains illicites suffisait à effacer la faute.
Ce renversement des valeurs est dangereux, car il installe l’idée que le vol peut être excusé, à condition qu’il soit “utile”.

Pire encore : les personnes enrichies par la corruption deviennent des modèles.
Elles sont respectées, valorisées, parfois même enviées. On ne regarde plus les moyens, on ne juge que le résultat.

Un système sans visages… mais avec des victimes

L’un des éléments qui expliquent la tolérance vis-à-vis de la corruption, c’est l’absence apparente de victimes.
Lorsqu’un billet est donné pour débloquer une situation, cela paraît anodin.
Mais les conséquences sont bien réelles.

Quand une retraite n’est pas versée, c’est un ancien qui souffre dans l’ombre.
Quand un hôpital ne dispose pas du matériel nécessaire, ce sont des vies qui sont perdues.
Quand un enseignant n’est pas payé, l’école se vide et l’avenir des enfants s’assombrit.
Quand un jeune ne trouve pas de travail faute de réseau, c’est toute une génération qu’on bloque.

Ces victimes ne sont pas toujours visibles, mais elles sont nombreuses.
Et chaque petit “coca”, chaque faveur échangée, participe à une mécanique qui produit ces injustices.

Une société guidée par l’argent

L’amour de l’argent, au Gabon, est tel qu’il devient une boussole sociale.
On pardonne tout à ceux qui en ont. On les admire. Même si cet argent est mal acquis.

Les gens veulent réussir, et la réussite est définie par le confort matériel.
Pas par l’intégrité, pas par la compétence.
Simplement par ce que l’on possède et ce que l’on peut afficher.

Ce glissement est lourd de conséquences : il empêche l’émergence de nouveaux modèles. Il décourage ceux qui veulent faire les choses correctement. Il alimente un climat de cynisme où l’idée de justice devient une blague.

La vraie question

Face à tout cela, une question s’impose :
Quel type de société voulons-nous construire ?

Une société où l’on s’en sort mieux en trichant ?
Une société où l’on protège les voleurs s’ils partagent un peu ?
Une société où la loi est secondaire, tant que l’on peut “arranger” ?

La corruption ne détruit pas seulement les institutions.
Elle détruit le lien de confiance entre les citoyens, et donc les fondations mêmes du vivre ensemble.
Elle rend les règles injustes. Elle pousse les gens à penser qu’il faut tricher pour survivre.

Tant que ce système sera toléré, encouragé, ou simplement ignoré, nous ne pourrons pas avancer.
Et ce ne sont pas les dirigeants seulement qu’il faudra pointer du doigt.
Ce sera chacun d’entre nous, dans nos choix, nos silences, nos petits arrangements.

Je te dis tout

OpinionSociété

Les faux révolutionnaires et la tentation de l’enveloppe : quand la morale a un prix

La trahison a une saveur particulière lorsqu’elle vient de ceux qui s’érigent en donneurs de leçons. On les voit partout, ces soi-disant “activistes”, autoproclamés défenseurs du peuple, des justiciers numériques armés de lives Facebook et de vidéos TikTok.


« Ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas. » – Matthieu 23:3

Ils se posent en gardiens de l’intégrité, dénoncent la corruption, crient au scandale… jusqu’au jour où une enveloppe glisse entre leurs mains tremblantes d’hypocrisie.

Et puis, patatras ! La vérité éclate. Le chevalier blanc qui tonnait contre “le système” est pris en flagrant délit, filmé en train d’accepter ce qu’il a toujours condamné : l’argent de ceux qu’il traitait de corrompus. Un pur moment de comédie tragique où l’indignation feint et laisse place à un balbutiement gêné, une explication confuse, un silence pesant.

Ce type de personnage pullule sur les réseaux sociaux. Le jour, ils font vibrer les foules en promettant l’exemplarité. La nuit, ils comptent leurs billets en priant pour que personne ne les ait vus. Ils dénoncent ceux qui se vendent, tout en négociant leur propre prix dans l’ombre.

Et lorsqu’ils sont pris la main dans le sac, le spectacle devient encore plus grotesque. D’abord, ils crient au complot, accusent leurs détracteurs d’être jaloux. Ensuite, ils invoquent des justifications absurdes : « Ce n’était pas un pot-de-vin, c’était un don. » Ou encore, « C’était l’argent du taxi comme cela se fait dans nos coutumes bantous ! » Oui, bien sûr… Comme si le piège n’était pas leur propre cupidité.

Il faut dire que ce n’est pas un phénomène nouveau. L’histoire est jonchée de faux révolutionnaires qui, une fois arrivés à proximité du gâteau, oublient leurs discours enflammés. Les valeurs ? Elles fondent au contact des liasses de billets comme du beurre sous le soleil équatorial.

Derrière l’indignation populaire se cache une vérité amère : ces pseudo-activistes ne sont pas des exceptions, mais des symptômes. Ils incarnent une société où la morale s’affiche bruyamment en public, mais s’efface discrètement en coulisses.

Ils sont le reflet d’un système qu’ils prétendent combattre, mais dont ils rêvent secrètement de faire partie.

Car au fond, leur combat n’a jamais été pour le peuple. Leur combat, c’était pour attirer l’attention, se donner une posture, et surtout, se faire une place à la table des puissants. Une fois assis, le festin commence et les beaux discours s’évanouissent

La colère du peuple, qui les voyait comme des héros, devient alors une nuisance à étouffer. Ceux qui hier dénonçaient la censure finissent par bloquer leurs anciens partisans, ceux-là mêmes qui leur rappellent leurs promesses trahies.

Alors, à tous ces donneurs de leçons qui finissent par s’asseoir à la table du pouvoir après avoir juré de la renverser : épargnez-nous votre théâtre. Si votre conscience a un prix, au moins, ayez la décence de ne plus venir nous parler d’intégrité. Et surtout, ayez la dignité de ne pas vous étonner lorsque le peuple, lui, vous tourne le dos.

Je te dis tout

GabonOpinion

Ah, donc maintenant, le peuple est impatient ?

Il fut un temps où vous étiez comme nous, dans la galère, à dénoncer les injustices, à exiger des comptes, à réclamer des résultats immédiats. Vous nous expliquiez, PowerPoint à l’appui, comment, en six mois, on pouvait redresser un pays, relancer l’économie et ramener l’électricité partout.

Mais ça, c’était avant. Avant que le vent tourne, avant que les bureaux climatisés, les véhicules de fonction et les indemnités confortables ne fassent leur apparition dans vos vies. Maintenant que vous êtes ministres, députés, conseillers et autres figures très occupées, vous avez découvert que 18 mois, c’est trop court pour changer les choses.

Ah bon ? Pourtant, hier encore, vous traitiez d’incompétents ceux qui demandaient du temps. Vous étiez les premiers à crier qu’ils dormaient sur leurs lauriers. Et maintenant que vous êtes assis sur ces mêmes fauteuils, vous voulez nous expliquer que la patience est une vertu ?

Vous croyez que parce que vos vies ont changé, les nôtres aussi ? Vous avez troqué la colère populaire pour la sagesse du pouvoir. Nous, on est toujours nguembé au pivot. Toujours dans le noir à cause des coupures, toujours en train de payer des factures exorbitantes pour des services inexistants, toujours à jongler entre l’inflation et la survie. Mais maintenant, c’est nous qui sommes trop pressés ?

Hier, c’était des promesses, aujourd’hui, c’est des sermons.

On vous voit. On vous entend. Vous avez changé de camp et maintenant vous vous érigez en donneurs de leçons. “Le peuple doit comprendre…“, “Les réformes prennent du temps…“, “Il faut être patients…

Vous qui, hier, nous promettiez la lune avec des tableaux chiffrés et des formules magiques, voilà que vous nous demandez maintenant d’attendre. Donc finalement, tout ce que vous racontiez avant, c’était du vent ? Du marketing pour votre carrière ?

C’est drôle comme le temps transforme les révolutionnaires en bureaucrates. Vous êtes passés de “On ne peut plus tolérer ça !” à “Soyez raisonnables” en un claquement de doigts.

Et le plus cocasse, c’est qu’en plus de nous demander d’être compréhensifs, vous commencez à nous gronder. À nous faire la morale, comme si nous étions des enfants capricieux. Comme si nous n’avions pas le droit d’exiger ce que vous-mêmes réclamiez il n’y a pas si longtemps.

Mais la réalité, c’est que votre seul problème aujourd’hui, c’est que vous êtes de l’autre côté du mur.

Les retournements de veste sont devenus un sport national.

Regardons un peu ceux qu’on a enlevés du jeu. Certains, hier, étaient des monstres à abattre. Aujourd’hui, ils sont les premiers à nous donner des leçons de gouvernance et à jouer les analystes politiques de comptoir. Ah, donc maintenant, vous avez des conseils à donner ?

D’autres, qui crachaient sur le système, qui juraient qu’ils ne feraient jamais de compromis, sont aujourd’hui les premiers à quémander un strapontin. Ceux-là sont devenus des carpettes vivantes, prêts à tout pour se faire remarquer.

Et puis il y a les plus zélés. Ceux qui lancent des pétitions pour exiger que le général se présente en 2025, comme si leur vie dépendait de sa candidature. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de signer une pétition pour exiger des comptes à la SEEG sur les coupures d’électricité, silence radio.

Le peuple qui souffre ? Ça, ce n’est pas leur combat. Leur seul souci, c’est de rester à proximité du pouvoir, de s’accrocher aux basques du chef, peu importe ce qu’il fait ou ne fait pas.

Voilà les perfides trompeurs dont parle la Concorde.

Des lions déguisés en moutons, des loups qui hurlent avec la meute quand ça les arrange et qui se font passer pour des agneaux dès qu’ils ont quelque chose à perdre. Des sorciers qui jurent vouloir le bien du peuple, mais qui ne pensent qu’à leur propre sort.

Ne vous méprenez pas : ce texte ne s’adresse pas à ceux qui travaillent vraiment, à ceux qui tentent, malgré les obstacles, de changer les choses. Il vise ceux qui ont retourné leur veste si vite qu’ils en ont attrapé le tournis.

Ceux qui ont oublié d’où ils viennent, qui nous regardent maintenant de haut, et qui osent nous dire que nous sommes trop impatients.

Alors un conseil : respirez un bon coup, regardez-vous dans un miroir, et demandez-vous si vous n’êtes pas devenus exactement ce que vous dénonciez hier. La réponse c’est oui hein, ne faites pas genre vous voulez vous remettre en question, vous savez au fond de vous que même vous regarder dans la glace est devenu insoutenable.

Je te dis tout