Parfois, je me demande si on boit pour oublier… ou pour ne pas devenir fou.
On n’en parle que trop peu, ou alors pour s’en vanter : « Les Gabonais sont parmi les plus grands buveurs d’Afrique », disent certains avec un drôle de sourire. Comme si c’était un exploit. Mais la vérité, c’est que cet alcoolisme rampant n’est souvent que le reflet d’une souffrance collective, d’un désespoir qu’on tente de diluer dans un verre. Boire, c’est oublier. Boire, c’est souffler. Boire, c’est survivre.
Et pourtant, pendant qu’on trinque, la politique, elle, continue son petit bonhomme de chemin. Ce mot-là, politique, fait encore peur ici. Pas peur comme un débat houleux, non. Peur comme un frisson dans le dos, comme un silence qui s’impose quand on s’apprête à dire un nom qu’il ne fallait pas.
Parce qu’ici, au Gabon, on a disparu pour des idées. Il y a moins de cinquante ans, certains opposants ont été effacés. Littéralement. Des corps jamais retrouvés. Des familles réduites au silence. Plus récemment, des voix ont été enfermées, accusées à tort, bâillonnées sans explication. Et il y a quelques jours encore, des fonctionnaires ont été écartés, menacés, pour avoir osé dire ce qu’ils pensaient. Juste ça. Une idée qui dérange. Prend une gorgée de bière. Voilà ce dont il s’agit.
Et puis il y a Rendjambe.
Issani Rendjambe, mort dans des circonstances troubles. Une mort qui hante encore les esprits, même si officiellement on préfère l’oublier. On murmure, on chuchote, on évite de trop creuser. L’État n’a jamais vraiment voulu lever l’opacité. Mais le peuple, lui, n’a jamais cessé d’en parler. Car on le sait : cette affaire-là, c’est le symbole. Le symbole d’un Gabon où la liberté d’expression se paie cher. Parfois de sa vie.
Et que dire du traumatisme le plus récent ? 2016… S’en souvient-on encore ? Ou ne veut-on simplement pas s’en souvenir ? Autre gorgée d’alcool.
On nous demande de passer à autre chose, de regarder l’avenir. Mais ce goût amer, ce n’est pas celui de la Regab. C’est celui du déni. Celui de l’injustice. Celui de cette nuit électorale interminable, de ces pleurs, de ces morts sans sépulture, de ce silence d’État. Et peut-être que c’est ça, au fond, que la Regab adoucit.
Alors on se réveille chaque jour avec la gueule de bois… et la quasi-obligation de combattre le mal par le mal, parce qu’on nous interdit de savoir. Et pour ceux qui savent, c’est l’interdiction de parler. Et pour ceux qui osent en parler, c’est parfois l’interdiction de revoir la lumière.
Alors on boit. On boit pour ne pas y penser. Pour ne pas sombrer. Pour oublier que cette politique nous enterre, doucement, mais sûrement. Pour oublier qu’on souffre, qu’on vit à moitié, qu’on meurt en silence.